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Depuis la parution de la loi de modernisation du système de santé, notre profession bénéficie d'une nouvelle définition qui lui octroie l'accès sous conditions aux traitement des urgences.

Je cite:"En cas d'urgence et en l'absence d'un médecin, le masseur-kinésithérapeute est habilité à accomplir les premiers actes de soins nécessaires en masso-kinésithérapie. Un compte rendu des actes accomplis dans ces conditions est remis au médecin dès son intervention".

Il existe de fait un vide autours de la définition de l'urgence en masso-kinésithérapie.

En effet, quand on s'attarde un tant soit peu sur le sujet, on s'aperçoit que la notion d'urgence, si elle a une définition médicale, est relative à chaque spécialisation. 

Puis lorsque l'on interroge un "dispatcheur", celui-ci nous confirme que l'urgence est bien difficile à cerner. Et il existe des consensus de priorisation des urgences dans chaque spécialité médicale. Ainsi, si il y a présence d'une hémorragie, la priorité monte d'un cran pour un contexte identique.

N'oublions pas non plus, qu'à une époque pas si lointaine, la notion d'urgence en ce qui concernait les ordonnances de kinésithérapie permettait simplement de ne pas éditer de demande d'entente préalable mais de commencer le soin immédiatement.

La nature ayant horreur du vide, il devient urgent de définir l'urgence dans notre spécilité avant qu'on ne le fasse pour nous ou pire que quelqu'un d'autre prenne notre place !

Le conseil de l'ordre cogite actuellement sur le sujet et espérons que le résultat de leur réflexions soit à la hauteur de ce que nous pouvons en attendre...

 

La réalité du terrain

Soyons réalistes, les kinésithérapeutes traitent déjà des urgences. Qui n'a jamais eu une bronchiolite, venant au cabinet sans ordonnance mais en disant "j'ai eu le docteur X au téléphone, il m'a dit de venir vous voir et il fera la prescription demain si besoin" ?

Oui cette situation est totalement "en dehors des clous", mais tellement fréquente !

Comment font les kinésithérapeutes "du sport" qui tous les samedi ou dimanche officient comme "soigneur" dans les clubs amateurs ou même professionnels ?

Les situations d'urgences existent déjà bel et bien et sont dans un cadre juridique non défini.

 

Les maisons de santé, les réseaux, le programmes politiques des candidats...

Si vous avez lu l'article (cliquez ici) sur les programmes des candidats à l'élection présidentielle, vous avez pu vous rendre compte que l'ensemble des candidats proposent que les praticiens se regroupent au sein de maisons de santé, de maisons pluridisciplinaires ou encore dans des réseaux de soins.

Certains parlent même de reçréer des petits hôpitaux de campagne au sein desquels des professionnels qui auraient suivi un complément de formation pourraient devenir de véritables dispatcheurs pour les services d'urgences. On retrouve là, la notion de "paramedics" à l'anglo-saxonne.

Et si cette vision peut sembler totalement incongrue, n'oublions pas que les ARS jouent très largement sur les maisons de santé et autres réseaux de soins, ce qui, in fine, pourrait amener au même résultat.

Soyons visionnaires et prenons le problème en amont plutôt qu'une fois que le législateur aura décidé à notre place...

 

Une urgence c'est quoi ?

À mon sens, le point clé de la réflexion, sera de définir ce qu'est une urgence masso-kinésithérapique.

En effet, le conseil de l'ordre des médecins indique:"Dans la tradition française, l’urgence se définit par la mise en danger à brève échéance – l’heure ou la demi-journée – de l’intégrité physique, voire de la vie d’une personne. Dans d’autres pays, notamment en Amérique du Nord, on lui accorde un périmètre beaucoup plus large, puisqu’on l’étend à tout ce qui est ressenti comme une urgence par le patient".

Au jour d'aujourd'hui, le patient , lorsqu'il se rend aux "urgences" ou appelle le samu, les pompiers ou tout autre service dit d' "urgence", ne prend pas en considération la mise en danger à brève échéance, mais considère bien de lui même sa propre notion d'urgence.

Ainsi, dans le monde anglo-saxon, pour pallier au surplus de patients à gérer, ce n'est pas le médecin qui reçoit en première intention mais ce que l'on appelle les "paramedics".

Suivant les pays et les législations, les paramedics travaillent au sein de services de soins d'urgences (emergency medical services ou EMS), le plus souvent dans les ambulances et sont autorisés à pratiquer certinas actes médicaux tels que la défibrillation, la ventilation mécanique, l'administration de certaines molécules etc...

Comment bien organiser le système d'urgences entre la définition médicale et l'usage qu'en font les patients ?

Et surtout, comment intégrer le kinésithérapeute dans cette organisation, mais aussi dans le parcours de soins coordonnés ?

 

Les ostéopathes

Oui, je vais oser parler de ce que tout le monde pense sans jamais oser le dire !

Les kinésithérapeutes sont "jaloux" des ostéopathes. En effet, l'ostéopathe, qui n'a pas le statut de profession médicale ou paramédicale, qui n'a aucune contrainte d'ordre et surtout de code de déontologie, qui n'est soumis à aucun contrôle ni aucune convention, qui ne paye même plus de TVA, oui cet ostéopathe, lui peut effectuer une consultation de première intention sans que personne n'y ait à redire !

Cette situation place le kinésithérapeute dans un sentiment d'injustice et d'inégalité. Pire, le conseil de l'ordre nous rappelle que le kinésithérapeute est soumis à son code de déontologie, même si il pratique l'ostéopathie !

Un comble ! 

C'est pourquoi je milite pour la création d'un véritable acte d'urgence en masso-kinésithérapie (cliquez ici).

Je pense qu'il est temps pour le kinésithérapeute de passer du statut d´exécutant au statut de consultant.

Il faut faire évoluer notre profession vers un soin de qualité et vers une responsabilisation importante.

Ne l"oublions pas, nous n'effectuons que des "actes" et non des "consultations". Le statut de "consultation" serait une avancée profonde pour notre profession avec tout ce que cela impliquerait.

Alors oui, je préviens mes confrères et consoeurs qui son très contents de voir "madame Michu", depuis 15 ans déjà, pour sa séance hebdomadaire car "elle aime bien qu'on la masse", et pour qui prendre 3 ou 4 patients en même temps pendant qu'ils ou elles jouent au poker en ligne est devenu la normalité, oui messieurs dames, il va falloir se (re)mettre au boulot !

 

La formation

Il me semble assez évident que l'appréhension des situations d'urgences doit se faire dans des conditions de sécurité et de pratiques optimales. Ceci implique une formation de qualité que nous avons déjà mais à laquelle nous pourrions adjoindre des modules spécifiques "urgences". À celle-ci, pour les thérpauetes qui pourraient se sentir non en phase avec les situations d'urgences, des formations continues pourraient être proposées, accessibles au titre du DPC.

Le grade master sera dès lors une évidence...

 

Le parcours de soins coordonnés

En effet, problème supplémentaire, en france, le patient doit s'inscrire dans le parcours de soins. Et si les paramédicaux ne sont pas directement inscrits dans le parcours de soins, qu'en serait-il de leurs réorientations ?

Tel que le parcours de soins est écrit, nous n'avons aucune possibilité de réorientation hormis inscrire le patient dans le parcours de soins en le dirigeant vers son médecin traitant.

Il sera impératif d'élargir le champ de la prescription des masseurs-kinésithérapeutes.

Il sera aussi impératif que le kinésithérapeute ait un réel accès au DMP pour permettre la meilleure coordination du soin en cas de redirection du patient vers un autre professionnel de santé.

 

Bridés par la convention !

Regardons juste à côté de nous... Je suis moi même ostéopathe et je reçois tous les jours des patients en première intention dans des situations que l'on pourrait qualifiées d'urgentes ou non.

Seule ombre au tableau, le patient n'est pas pris en charge par la sécurité sociale et donc n'a pas droit au remboursement pour ses soins. Certes, le système mutualiste peut prendre le relai, mais il m'est d'avis que plus on s'écarte des mutuelles, plus le "soin" sera de qualité, mais c'est un autre débat...

N'en doutons pas, si l'accueil des patients par les ostéopathes est possible aux yeux du legislateur, il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas pour les kinésithérapeutes. Oui... Mais... le kinésithérapeute, lui est remboursable. Et c'est peut être là la vraie raison de la "non communication" ou de la "non volonté d'avancer sur ce sujet" du législateur... Encore une fois, le nerf de la guerre... L'argent !

Si nous n'avons pas encore d'acte d'urgence défini, c'est à cause du coût engendré par celui-ci.

Je rappellerais au législtateur que le cumul des forfaits ATU et FAU donne un "prix" de passage aux urgences d'environ 72€ par personne pour les établissements recevant moins de 6000 "urgences" par an selon la règle de calcul 2017.

Imaginez la réelle économie que l'on pourrait engagée avec un réel "dispatching" en amont...

Couplé avec un accès au DMP l'ensemble des éléments nécessaire à la prise en charge complémentaire seraient directement accessibles et permettrait d'économiser sur les frais liés à l'ATU en cas de réorientation.

Le maillage territorial des kinésithérapeutes est important. Imaginons que chaque praticien prenne en charge 2 urgences par jour et une garde de week-end par trimestre. Environ 700 urgences par an. Cela peut sembler peu... Oui mais, nous sommes 80 000. Cela représenterait 56 millions de consultations par an ! Cela engage actuellement 4 milliards d'euros de frais ! Même si le bilan final ne faisait gagner que 10% des frais engagés, cela représenterait près de 400 millions d'économies. Cette économie pourrait être directement réinjectée pour notre profession. Et ajouté aux autre économies possibles (cliquez ici), le montant total peut être considérable...

Il serait temps que le législateur réfléchisse sérieusement à une vraie réforme du système de santé en utilisant l'ensemble des intervenants et des possibilités à sa disposition qui permettraient de "faire mieux pour moins cher" !

 

Conclusion

Il ressort de mon analyse, que si nous ne pouvons pas définir correctement la notion d'urgence masso-kinésithérapique, nous passerons totalement à côté dune réelle avancée pour notre profession.

La réelle difficulté va être de donner une définition à l'urgence masso-kinésithérapique.

Il faudra en effet donner un large champ d'action et éviter de brider le kinésithérapeute, le tout sans déborder sur les professions existantes et surtout en prenant toute l'ampleur de l'avancée que cela pourrait être pour la profession si tout ceci est mené correctement.

La création d'un acte d'urgences en masso-kinésithérapie est un projet ambitieux et une profonde avançée pour notre profession. Mais il faut que les réflexions et la mise sur les rails de ce projet soient à la hauteur de l'ambition. Si nous faisons l'erreur de suivre à la lettre la définition médicale, j'ai bien peur que nous tuions dans l'oeuf la notion même d'urgence masso-kinésithérapique.

La notion d'urgence aura un impact sur l'ensemble des textes nous concernant. Le décret d'actes, le droit de prescription, l'implication dans le parcours de soins, la convention, l'université... Il faudra donc mobiliser l'ensemble des acteurs de la profession. Ordres, syndicats, enseignants, ministère de la santé, ministère de l'éducation, UNCAM... 

Il faudra aussi bien évidement que nous, kinésithérapeutes, répondions "présents" et nous engagions pleinement. 

Soyons à la hauteur de l'ambition.

Vincent Jallu