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Vous le savez, j’ai plutôt l’habitude d’avoir des avis tranchés et de les exprimer...

Et bien aujourd’hui je vous propose une réflexion autours de « nous » plutôt que de vous donner mon point de vue.

Je ne parlerais pas non plus des différentes politiques mises en place par les gouvernements. Corée du Sud, Allemagne, Pays-bas, Royaume uni, France, autant de mode d’actions différents dont nous verrons les effets qu’au terme de la pandémie.

 

Non,  nous allons essayer de voir avec logique notre situation en France avec nos instances.

 

Nous sommes d’ailleurs quelque peu dans la confusion de communication entre notre ordre qui nous oblige à fermer nos cabinets et dans le même temps les syndicats représentatifs qui annoncent que nous avions « un rôle précieux à jouer » en gardant nos cabinets ouverts.

Si personnellement je partage ce point de vue, je comprends qu’aujourd’hui nos confrères et consoeurs soient dans l’inconnue.

 

Peur et émotionnel, la limite du confraternel

Nous le voyons sur les réseaux sociaux, la confraternité vient de trouver ses limites. Que dire des messages presque insultants de certains qui stigmatent ouvertement des confrères et consoeurs qui n’ont pas fait le même choix qu’eux.

Nous devons garder à l’esprit une analyse claire et dénué d’émotionnel et surtout de peur inutile et intellectuellement mortifère.

Nous voyons que le concept de confraternité n’est qu’une illusion dans ces temps complexes.

 

Fermer nos cabinets

Cela permet d’endiguer la propagation du virus et donc à terme de sauver des vies.

Il n’y a pas grand chose à ajouter, je pense qu’il y a consensus là dessus.

 

Ouvrir nos cabinets

Lorsque j’ai annoncé aux médecins urgentistes que je fermais mon cabinet suite aux recommandations de notre ordre, l’un d’entre eux a eu cette phrase « les kinés fuient leurs responsabilités de professionnels de santé »...

En effet, depuis quelques semaines notre hôpital est saturé. Les cabinets des médecins sont eux aussi complets. Beaucoup d’entre eux réorientaient les patients « petite traumato » vers nous. Ainsi, chaque patient vu par le kinésithérapeute libérait du temps médical pour le généraliste, évitait que le patient n’aille aux urgences pour de la bobologie et libérait donc aussi du temps médical à l’hôpital.

 

Mieux, certains font des pieds et des mains pour collaborer avec d’autres soignants. Ils créent des CPTS des MSP, des ESP ou tout autre acronyme.

Notre réseau ne s’est jamais autant développé que dans les dernières semaines.

Généralistes, urgentistes, infectiologues, infirmières… Ils comptaient tous sur nous.

 

L’accès direct c’est maintenant, sur le terrain que nous aurions pu l’avoir.

 

La notion de soins vitaux

Nous l’avons déjà vu avec la notion d’urgence, notre CNO a tendance à imposer sa vision et rester étanche à d’autres courants de pensées. Ce ne serait pas un soucis si , à l’image du conseil national de l’ordre des médecins, nous étions considérés comme égaux et que nous conservions notre libre arbitre.

 

Prendre en charge une lombalgie n’est en rien un soin vital. Nous sommes tous d’accord sur ce fait.

Nous pourrions discuter du cas particulier du médecin du service de réanimation qui subit une lombalgie, mais effectivement c’est un cas particulier et trop largement sur les réseaux sociaux nous voyons de cas particuliers.

 

Cependant le cas général est de se poser la question « où vont aller nos patients ? ».

Et bien ils vont aller encombrer les généralistes, ne serait-ce qu’au téléphone, ou pire, aux urgences. Ce qui n’est pas vital d’un côté peut rapidement se transformer en encombrement massif des soins vitaux de première ligne d’un autre côté.

 

Sauver des vies maintenant c’est s’assurer que les soignants de première ligne travaillent dans les meilleures conditions et pas être assis dans son canapé à se cacher derrière le principe de précaution.

 

Ne sommes nous pas capables de mettre en place les mesures barrières ?

Comment ne pas être surpris quant on lit les tweet de la présidente de l’ordre qui demande aux kinésithérapeutes du grand-est de continuer à aller dans les SSR alors qu’elle leur a demandé de fermer leur cabinet deux heures plus tôt ?

En effet, ces kinésithérapeutes, si ils sont aptes a effectuer les mesures barrières dans un SSR, ils devraient pouvoir être aussi aptes à effectuer les mêmes mesures barrières dans leur cabinet non ?

De plus on leur dit qu’ils peuvent prendre les patients à domicile, laissant croire que leur cabinet est moins « propre » ou plus contaminant que le domicile des patients où rien n’est désinfecté, nettoyé ou même aéré.

Il faut avouer qu’il y a quelque chose de dérangeant et de paradoxale dans cette logique que notre ordre porte. À croire que nos cabinets sont moins fréquentables que les bureaux de tabac ou les supermarchés où s’agglutinent les gens...

 

D’ailleurs à titre personnel, je ne peux plus exercer dans mon cabinet, mais l’infirmière qui travaille avec nous continue a travailler au sein du cabinet. Donc si ce n’est pas un problème de personnel puisqu’en SSR nous sommes aptes, si ce n’est pas un problème de lieu, où est finalement le problème ? Peut être un soucis de volonté...

 

Peut être est il temps pour notre ordre de faire preuve de clairvoyance et d’avoir une approche épistémologique afin de commander une étude comparative sur les infections contractées en cabinet, en SSR et à l’hôpital pour que nous puissions réellement savoir si nos cabinets sont si contaminants que cela comparativement aux autres structures d’accueil.

 

À croire que nous kinésithérapeutes nous n’avons jamais été confronté au confinement d’une chambre, au sepsis, aux mesures barrières simples ou complexes... À croire que nous n’avons jamais fait de stages hospitalier... à croire que le primeur du coin où tous les gens manipulent les fruits et légumes sans gants semble mieux formé que nous...

 

Les soins à domiciles…

Nous l’avons vu, il n’est pas certain que les domiciles des patients soient les meilleurs endroits pour se prémunir et pour éviter la contagion.

De plus, nous le savons tous les domiciles sont connus pour être les endroits les plus propices à une kinésithérapie de qualité.

Enfin nous le savons tous aussi, les temps de transports nous imposent d’avoir des temps courts de présence auprès des patients.

 

Conclusion

Ouvrir ou fermer, c’est une question complexe et difficile à laquelle je n’ai pas la réponse.

Cependant notre ordre a tranché, il faut fermer. Et c’est cela qui finalement me dérange. Comme souvent, notre ordre tranche dans le vif sans accorder aucune confiance à nous kinésithérapeutes. Nous pouvons percevoir une forme de condescendance entre eux et nous. Là encore la confraternité a ses limites. Voilà encore une piste de travail pour notre CNO, faire confiance et mesurer la porté réelle de ses communications. Nous exposer les faits et les possibilités en nous laissant le choix d’une décision raisonnée aurait été plus cohérent.

Par cette décision, nous montrons qu’effectivement nous ne servons pas à grand chose dans le système de santé (peut être même à rien). Et bien qu’il en soit ainsi. Ne nous étonnons pas de ne pas avoir la reconnaissance que visiblement nous ne méritons pas. La délégation de taches, la continuité des soins tout cela attendra.

L’urgentiste a certainement raison, nous avons peut être fuit nos responsabilités. Est-ce la peur qui a guidé ces décisions ?

Être en guerre et avoir peur d’aller au combat ?

Drôle d’image que nous véhiculons là...

 

Ouvrir ou fermer aurait du rester notre choix réfléchi à chacun. Aujourd’hui, même ceux qui bravent l’ordre risquent de ne plus être couverts par leur RCP.

 

Comme vous avez tous fermé vos cabinets, pensez à la réserve sanitaire. Vous y verrez certainement des gens qui auront plus confiance en vous que dans notre propre camp...

 

Bon courage à toutes et a tous. Nos différents idéologiques ne seront rien face à l’épidémie et à la seconde catastrophe que sera le cataclysme financier qui en découlera...

 

Vincent Jallu