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L’annonce via une vidéo il y a quelques jours d’une véritable avancée pour la profession a été faite sur les réseaux. La CPAM du Var aurait (au conditionnel, aucun accord écrit n’a été publié) accepté que les séances passé 18h ainsi que celles du samedi toute la journée soient éligibles à un DE de 8€ maximum. Nous n’en savons pas plus.

 

Cependant, j’en suis désolé mais je trouve cette annonce plutôt néfaste pour la profession, voir même l’une des plus désastreuses nouvelles concernant l’exercice conventionné.

 

Les patients des créneaux 18h et plus ont ils le choix ?

Clairement non. Qui sont ces patients ? Des gens qui travaillent et qui n’ont pas le loisir de pouvoir venir avant 18h ou en semaine.

Comme si travailler était une punition. Vous travaillez, vous ne pouvez pas venir avant 18h, et bien en plus vous paierez plus cher !

Pensez tout de même que vous même vous remplissez ces critères. Grace à cette action vous pourriez devenir ces nantis qui doivent payer plus cher…

 

Nous avions comme crainte d’avoir une médecine à deux vitesses, les pauvres contre les riches. Finalement avec cette action ce sera ceux qui bossent et les autres.

 

La ségrégation par l’argent

Quelle va donc être la conduite à tenir ? « Un rendez-vous après 18h ? Oui bien, c’est 8€ de votre poche. Vous ne pouvez pas payer ? Et bien venez à 17h30 ! »

Cette logique est détestable et créée une véritable ségrégation par l’argent qui n’est pas digne de notre profession.

 

Sans même parler de l’aspect éthique et déontologique, souvenons du décret du 2 octobre 2020 concernant les refus de soins discriminatoires... Certains confrères et consoeurs pourraient être en grand danger avec ce DE.

 

Il pourrait d’ailleurs être drôle de voir le président du CDO83 prononcer un avis défavorable envers un confrère ou une consoeur, alors qu’il est lui même promoteur de ce DE. c’est l’inconvénient de cumuler les fonctions. À un moment donné on peut être pris à double feux...

 

Préparez vous à contractualiser vos séances et à donner aux patients tout l’éclairage qu’ils nécessite. Le consentement éclairé n’est plus théorique, il vous le faudra pour chaque patient redevable de ce DE.

 

Quelle différence avec un dépassement d’honoraire ?

Un dépassement d’honoraire, serait plus « juste ». Dans le sens où il pourrait s’appliquer à tout à chacun sans faire de ségrégation entre travailleurs et non travailleurs. SI notre convention le permettait (et elle ne le permet pas, contrairement aux médecins de secteur 2) il n’y aurait pas de ségrégation horaire.

 

Et chez les coiffeurs ?

Souvent quand on parle de tarifs, l’exemple des coiffeurs revient sur la table.

Oui il y a longtemps notre tarif était supérieur au prix d’une coupe, oui depuis la situation s’est inversée etc.

Mais dites moi, avez vous déjà vu un coiffeur dire « après 18h et le samedi c’est plus cher » ?

J’aimerais bien voir votre tête si votre coiffeur vous disait cela…

 

La convention, socle de notre action

Notre système de santé est fondé, et nous le voyons actuellement dans cette période de crise, dans la prise en charge équivalente quelques que soient les conditions des patients, y compris financières.

La convention garantit aux patients d’avoir les mêmes soins, aux mêmes tarif sur l’ensemble du territoire.

Se permettre de passer outre cet aspect et appliquer une forme de dépassement sous conditions d’horaires, c’est remettre profondément en question la convention.

 

Pour faire court. Si le contrat ne vous plait pas, rien ne vous empêche de faire une activité hors convention ou même de vous deconventionner complètement.

Ce n’est pas aux patients, et encore moins à une frange de patients n’ayant d’autre choix que de venir sur ces horaires, de faire les frais de la non augmentation de nos tarifs.

C’est remettre en question l’accessibilité aux soins dans des conditions identiques pour l’ensemble des patients sur le territoire.

C’est une relise en question profonde du système conventionnel. Voulons nous réellement que notre activité quitte la convention ?…

 

La convention permet aussi à ce que l’ensemble des professionnels soient traités de la même façon sur l’ensemble du territoire. un AMS 7,5 à Lille est le même à Toulon. Avec cette mesure, c’est potentiellement les conventionnements locaux qui peuvent être induits et donc une inégalité de traitement entre professionnels. 

 

Et les autres caisses ?

Si la CPAM du Var est d’accord pour que l’on transgresse la convention, qu’en est-il des autres caisses ? Que va-t-il se passer quand un patient « mgen » vous demandera un rendez-vous à 18h ? La réponse est simple. Soit vous ferez une sélection des patients passé 18h et le samedi, ce qui d’un point de vue éthique est assez détestable, soit et bien vous n’aurez pas droit au fameux DE.

 

Pensez aussi aux autres CPAM... le Var n’est pas un département touristique ou de villégiature, c’est connu... Là encore, toutes les caisses externes au Var refuseront le dit DE.

 

L’argument de l’offre de soins

Pour mettre en avant le procédé, il a été précisé que dans le Var, l’offre de soins en kinésithérapie était faible à partir de 18h ainsi que le samedi.

Avis tout à fait personnel, si les gens ne travaillent pas sur ces créneaux, c’est d’une part part que c’est leur choix et d’autre part parce qu’ils n’ont pas fondamentalement besoin de gagner plus...

D’autant que comme nous allons le voir, passé les effets d’annonces, les gains potentiels par rapport à « sans le DE » sont en réalité beaucoup plus faibles.

 

Par ailleurs, juste au passage, la permanence de soins devraient être encadrée par l’action des CPTS avec de nouveaux modes de rémunérations qui eux sont engagés par l’ARS et non par les patients tout en conservant le socle conventionnel, contrairement à ce « DE » qui ne ressemble à rien. Voilà où doit se situer notre action, au sein des CPTS. Et il est fort dommage que l’URPS PACA se soit autant fourvoyé en allant dans cette direction du DE.

 

Que se cache-t-il derrière le « à votre demande » ?

En fin de vidéo, notre confrère l’annonce fièrement, si vous êtes intéressés, à votre demande, ils irons négocier dans les autres départements de la région.

Pourquoi « à votre demande » ? 

Y aura-t-il des critères à remplir ? Faudra-t-il payer quelques chose ? Un droit de cuissage peut être ? Être adhérent au syndicat ?

Il est très curieux de voir un président d’URPS ne pas défendre l’ensemble des kinésithérapeutes de son territoire et de conditionner son action à une « demande »...

 

Apprendre à compter

Annoncer que l’on peut gagner 4000€ par an en facturant 2 actes par jour, ou plus de 10 000€ en travaillant le samedi, c’est bien, mais encore faut-il que ce ne soit pas qu’une annonce !

Si on prend les DE de semaine. Il y a par exemple 253 jours ouvrés en 2020. Les kinésithérapeutes prennent en moyenne 3 semaines de congés, ce qui amène à 238 jours facturables. Nous arrivons donc avec 2 DE de 8€ à 3808€. 5% d’écart, soyons fous, la différence est acceptable.

Pour les samedi en revanche… 52 jours moins 3 de congés (et je suis gentil, nous prenons en général nos congés du vendredi au lundi, donc pour trois semaines de congés il y a au moins 4 samedi). 49 jours, 10h de travail, 20 patients soit 20 DE à 8€, total 7840€. 27% d’écart... Et 36% si l’on n’est pas gentil sur le nombre de samedi. L’erreur commence à être plus que significative. Et si l’on rajoute à cela, comme évoqué plus haut qu’il faut le samedi n’avoir aucune ALD, aucun AT, aucune CMU, aucun patient d’autre caisse que la CPAM du Var etc…

Pour arriver aux « plus de 10 000€ » il faudrait voir plus de 25 patients répondants à tous ces critères tous les samedi de l’année. Autant le dire franchement, ce n’est qu’une annonce et aucunement la réalité.

Et doit-on parler de la fiscalité des DE ?

C’est assez récurent pour les gens de ce syndicat. Combien devions nous gagner par mois avec l’avenant 5 ? Quelle est la réalité ?

On s’arrange avec les chiffres comme on peut, mais souvent comme on veut... 

 

Aucune revendication syndicale

Si l’instigateur de cette mesure est clairement identifié comme appartenant au SNMKR, ce dernier n’a pas encore communiqué sur l’extra-ordinaire avancée que cela est supposé être.

Est-ce un signe que finalement cette avancée n’en est pas une ?

Peut être que le SNMKR attend et « prend la température » ?

Ou peut être encore que comme aucun accord signé n’a été publié il a été totalement prématuré de communiquer sur ce sujet ?

Dans tous les cas, je trouve ce silence politiquement intéressant.

 

Les élections approchent, la course à l’échalote est lancée.

 

Conclusion

Vouloir aider les confrères et consoeurs c’est bien. Mais encore faut il le faire dans le bon sens.

Handicaper financièrement les gens qui travaillent et qui n’ont d’autre choix que de venir en soins sur des créneaux horaires passé 18h ou le samedi n’est pas cohérent et contraire à notre contrat conventionnel et une totale ineptie. Ajouté à des calculs incohérents et qui ne reflèteront pas la réalité, passé l’annonce…

Il y a bien d’autres moyens d’augmenter l’offre de soins sur ces créneaux et ce, sans placer les kinésithérapeutes dans une situation qui pourrait leur être préjudiciable.

Donc non, cette annonce n’est vraiment pas une bonne nouvelle et j’espère que la CNAM va très vite rappeler à la CPAM du Var que ce n’est pas la bonne voie.

 

Vincent Jallu