Nuages

Vous le savez certainement, sont parus au journal officiel deux protocoles de coopération concernant la lombalgie et l’entorse de cheville. (Lombalgie, Cheville)

Ces protocoles étant dans le cadre d’expérimentations du type article 51, nous n’aborderons pas ici les problématique de discrimination à l’accès au soins suivant les territoires, ou encore de la non équité entre professionnels suivant ces mêmes territoires. Mais sachez qu’à terme, ces problématiques pourraient bien ressurgir…

Ce qui est assez frappant d’emblée, c’est que cette magnifique avancée qu’est l’accès direct en masso-kinésithérapie aurait du être claironnée par leurs auteurs à la façon « nous sommes les plus forts nous avons obtenu ceci ». Et bien non.

Et si l’enthousiasme ne semble pas plus élevé que cela, voici pourquoi.

 

Qu’est-ce que l’accès direct ?

L’accès direct, c’est le fait d’aller directement chez le kinésithérapeute pour faire ses séances sans passer par la case médecin.

Et bien ce n’est pas ce qui est proposé par le biais de ces deux protocoles. Au contraire !

En effet ces protocoles n’autorisent pas l’accès direct, ils autorise une délégation de compétence sous contrôle. À savoir, voir un patient lombalgique ou porteur d’une entorse de cheville, lui prescrire des AINS, du paracétamol et un arrêt de travail. Jouer au docteur en fait… Mais en aucun cas on ne peut jouer au kinésithérapeute. Un comble peut être non ?

Mieux, en cas d’urgence et en l’absence d’un médecin, nous avons déjà une certaine latitude à oeuvrer.

Dans ces protocoles il faut être enfermé dans une Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires et sous la tutelle d’un médecin.

Accès direct vous disiez ? Quelle blague…

 

Le danger de la limitation à la structure

Si vous ne l’avez pas encore compris, ces protocoles ne sont accessibles que si vous travaillez dans une Maison de Santé Pluridisciplinaire organisée via une SISA.

La problématique de ce mode de fonctionnement est que c’est la SISA qui devrait rémunérer les professionnels. En effet les Nouveaux Modes de Rémunération (NMR) sont payés généralement par l’ARS aux SISA. Et ensuite la SISA reverse tout ou partie aux membres ayant acté.

En ce qui concerne les deux protocoles les sommes de 23 à 25€ sont avancées. 

Que se passerait-il si le médecin déléguant venait à dire « je perds du temps à vérifier ce que fait le kiné, je ceux 5€ sur le montant payé à la SISA » ?

Le kinésithérapeute verrait alors le paiement de son acte diminué !

On peut même imaginer que la structure elle même dise « ce type de consultation créée des dépenses pour la SISA il faut donc que nous allouions une partie de la rémunération au fonctionnement de la SISA ».

Et bien, comme le protocole est lié à la structure, le kinésithérapeute n’aurait aucun autre choix que d’accepter ou de quitter le protocole et donc la structure !

Accepte mes conditions ou va-t-en. Voilà ce qu’amène ce type de protocole ainsi monté. Et quand la SISA aura prit 2€ et le médecin 5€, il restera 18€ au mieux à notre pauvre kinésithérapeute jouant au docteur. 

Limiter ce type d’action à des structures et pire à des SISA est une hérésie voir une mise sous tutelle. Nous sommes déjà lié par le biais d’une convention et bien celles et ceux qui accepteront ces protocoles seront liés en plus à une structure et à une société. C’est un esclavagisme administratif. Une perte nette de liberté d’installation et de fonctionnement.

 

La forfaitisation, 20 ans de lutte syndicale balayées du revers de la main

Avec ces protocoles ne soyez pas dupes, c’est le paiement au forfait qui s’installe dans nos rangs. Voilà ce que sont les NMR. « Une entorse de cheville ? Ça vaut 25 balles, qu’ils se débrouillent entre eux avec ça ». Voilà la mentalité des paiements au forfait. Merci à celles et ceux qui trouvent que cela est une avancée… 

Je considère ces protocoles comme la plus grande reculade de ces 20 Dernières années.

Forfaitisation, soumission totale, perte d’autonomie, perte de notre mission première, perte de notre métier tout simplement. Allons nous devenir les grattes-ordonnances que nous dénoncions ?

 

Les risques et problèmes divers

Le premier risque est simple. Que cela ne fonctionne pas. Et lorsque l’on dit que cela ne fonctionne pas, ne comprenez pas que l’efficacité soit en cause. Non, nous parlons là d’argent public. Si la prise en charge du lombalgique par le kinésithérapeute coûte deux fois plus cher que la même prise en charge par le médecin, alors adieu le protocole ! Et adieu l’accès direct, le vrai ! Car n’en doutez pas le législateur en profitera pour nous dénigrer sans ménagement.

Le second, plus subtile, dal liberté de choix du praticien. En effet le patient si son état ne s’améliore pas pourra avoir un traitement kinésithérapique. Pourra-t-il décider alors d’aller voir un autre praticien que celui qui l’a reçu initialement ?

Un autre soucis intervient concernant la responsabilité civile professionnelle. En effet, les kinésithérapeutes qui prescriront des AINS ne sont pas actuellement couverts par leur RCP pour ce type d’acte qui n’est pas dans leur nomenclature. Et comme il s’agit d’une expérimentation, qui subira les ennuis en cas de soucis ?

Un autre risque et non des moindres, si l’expérimentation fonctionne avec le kinésithérapeute, pourquoi ne pas le remplacer par une infirmière ? ou un APA ? ou un sous-kiné ? et pourquoi pas en téléconsultation ? 

Enfin un point qui est plus un problème qu’un risque, il n’y a pas de diplôme ou de certification délivré. Et donc, si vous changez de structure il faudra refaire une formation avec les médecins déléguants…

 

En conclusion

Si vous rêviez d’être docteur mais que vous avez échoué au concours d’entrée, ces protocoles sont pour vous.

Si vous voulez faire évoluer la kinésithérapie, vous serez certainement déçu de la tournure des événements.

Vous l’aurez compris, faire le boulot du médecin à sa place, devenir un gratte-ordonnances, tout en étant forfaitisé et enchaîné à une structure le tout avec le risque de voir le vrai accès direct nous passer sous le nez… sans moi.

 

Vincent Jallu