Nuages

Et oui, nous entendons beaucoup sur les réseaux les gens dire « nous ne pouvons pas travailler plus », « nous faisons 60 heures par semaine », « les cabinets usines… »… Alors mythes ou réalités ?

Toutes les données de cet article sont issues de data.ameli.fr et ont été traitées avec l’ensemble logiciel R.

En France métropolitaine il est facturé 3472 actes par an et par kinésithérapeute dans le département où l’on travaille le moins, à contrario 6424 actes en moyenne dans le département où l’on travaille le plus.
85% d’actes en plus entre les deux départements, autant vous dire que celui qui pense que nous avons une activité « homogène » a tort sur toute la ligne !

 

Quelle est donc la réalités des faits ?

3472 actes par an, sur 235 jours d’activité (soit 5 semaines de congés, samedi-dimanche non travaillés), cela représente 14.77 actes par jour soit un peu moins de 7h30 d’activité. Comme quoi des libéraux aux 35h… ça existe ! (Humour, je précise au cas où…).

Pour les grincheux, si l’idée viendrait de dire « mais on a pas autant de vacances que cela… ». Si l’on calcule sur 246 jours d’activité (donc 3 semaines de congés), on arrive à 14.11 actes par jour soit un tout petit peu plus que 7h d’activité par jour, c’est pire…

Bien évidement nous ne parlons là que de revenus conventionnels. Nul ne doute (ou pas !) que nombre de kinésithérapeutes dans les départements où l’on enregistre si peu d’actes pourraient avoir une activité secondaire, mais rien ne permet de l’affirmer car si l’on regroupe les quelques derniers articles de ce blog, on note que finalement il n’y a pas tant de HN que cela dans ces départements… Mais très loin de moi l’idée de déclencher une guerre sur le sujet, laissons le bénéfice du doute…

À l’inverse, 6424 actes par an, cela représente presque 14h quotidiennes, sans aucun absentéisme (ou pas ! Là encore, les données ameli sont sur les actes facturés et non les actes réellement effectués), sacrée rythme !…

Mais voyons comment tout cela se distribue:

 

Densite

 

La distribution est quasi parfaite et homogène.

La moyenne est à 4748 actes par an soit un chouia plus que 20 séances par jour soit 10h d’activité.

La variance est de 328780.3.

La médiane (pour rappel, 50% des kinésithérapeutes sont au dessus, 50% sont en dessous) est à 4772 soit 20.3 actes par jour.

A noter la limite 1er-2e quartile est à 18.49 et la limite 3e-4e quartile est à 21.68 actes par jour.

50% des kinésithérapeutes de France métropolitaine effectuent donc entre 18 et 22 actes conventionnés par jour et ce 235j par an. J’avais déjà mis en doute l’étude de la CARPIMKO sur la pénibilité. Cette dernière parlait de 3 semaines de congés et 57h de travail par semaine. Ce qui correspondrait à 5586 actes annuels. Seuls 17.53% des kinésithérapeutes semblent être dans ce cas si on se limite aux actes conventionnés. Nous ne reparlerons pas non plus de l’étude de l’URPS île de France qui est tellement biaisée que les résultats ne sont absolument par représentatifs. Le département de Paris est le second département où l’on pratique le moins d’actes conventionnés (mais celui où l’on pratique le plus de DE pour rappel) avec 3501 actes par an soit 14.89 par jour sur 235 jours. Enfin, il y a encore quelques jours, un syndicat qui nous annonce fièrement son « enquête », largement biaisée, avec 80 actes moyens par semaine, alors que la moyenne nationale est à 100 actes (il est vrai que 25% d’erreur ce n’est pas grand chose…).

Toute la problématique est que visiblement, tous ces gens n’ont pas vraiment de culture scientifique et ne font qu’orienter les chiffres là où ils veulent les faire pointer. Les données Ameli sont Open Source, sur population entière et donc indiscutables. Si un jour nous voulons attirer un peu plus de monde dans les syndicats, peut être faudra-t-il commencer par arrêter de leur mentir et leur fournir des données fiables qui pourront alimenter des réflexions pertinentes.

 

Tordre le cou aux idées reçues… les cabinets usine !

Dans le même ordre d’idées, nous entendons régulièrement parler de ces fameux cabinets usine que nous connaissons tous, qui dérangent et qui sont tout aussi jalousés.
Mais finalement même si l’on prend 235 jours d’activité comme référence, nous arrivons à une moyenne nationale (métropolitaine) de 20.20 actes par jour. Et plus intéressant, la médiane est à 20.31. Ce qui veut dire qu’il y a autant de kinésithérapeutes qui font moins de 20 actes par jour que de ceux qui en font plus… Et encore plus intéressant, le minimum départemental est à 14.77 et le maximum à 27.34.

 Voilà 20 séances par jour en moyenne. Nous sommes à des années lumières de ce que certains annoncent (40-50 séances par jour). Cela permet de relativiser…

 Il semblerait donc que les fameux cabinets-usine ne soient pas la norme, très loin de là. Et la fameuse « norme sécu » qui fixe à 32 actes par jour avant de déclarer une activité « hors norme » semble assez cohérente.

De fait, vous réalisez 40 actes par jour et vous vous demandez pourquoi la sécu vous demande des précisions ? Peut être est-ce par ce que vous être au double de la moyenne nationale ?…

 

Mais alors où travaille-t-on le plus ?

La carte ci-dessous représente les 4 quartiles d’activité. Le graphique en suivant classe les départements par son activité. Les droites vertes symbolisent les limites des quartiles.

CarteNbS       NbS

 

En regardant cette carte, nous ne pouvons nous apercevoir qu’il existe, encore une fois, des problématiques locales. La Bretagne, le Rhône-Alpes, la Picardie, la Corse ou encore L’île de France coupée en 3 avec 3 départements où l’on travaille le plus, 3 départements où l’on travaille le moins et 2 intermédiaires

 

Coût total par patient

Une autre interrogation survient. Nous n’avons pas une activité homogène suivant les départements, très bien. Mais pour le patient qu’en est-il ?

Combien coûte un traitement de kinésithérapie au patient ?

La carte ci-dessous a été conçue avec les revenus totaux (conventionnés et DE) divisés par le nombre de patient de la file active (le nombre moyen de patients vu par kinésithérapeute, par an et bien sur pour le département concerné).

 CarteCPP

 CPP

 

Pourquoi dans certains départements il coûte 288€ par patient, alors que dans un autre c’est jusque 636€ par patient ? Cela coûte 2.2 fois plus cher en Corse qu’en Bretagne…

 

Croisons les données…

Intéressons nous maintenant à quels départements coûtent le plus au patient (4e quartile) et effectuant le moins d’actes par an (1er quartile). En croisant ces données nous obtenons les départements les plus et les moins « rentables » pour les patients. 

Sur la carte ci-dessous, en rouge les départements les moins rentables. Les Alpes de Haute Provence, Les Hautes Alpes, Paris, les Yvelines et les Hauts de Seine sont sur ce podium des départements les moins rentables.

En rouge-orangé, les départements étant au-dessus de la médiane en terme de coût au patient et en-dessous de la médiane du nombre d’acte. L’Ardèche, la Drôme, l’Isère, Loir et Cher, Lot, Pyrénées Orientales et Vaucluse.

À l’inverse, les bons élèves, en bleu ciel les départements ayant un nombre d’actes supérieurs à la médiane et dont le coût au patient est inférieur à la médiane. Les Ardennes, la Charente, le Cher, le Gard, la Gironde, la Meurthe et Moselle, la Moselle, la Haute Saône, la Seine Maritime, la Haute Vienne et les Vosges sont sur podium.

Enfin, champion toute catégorie, la Meuse qui représente l’excellence ! Le coût au patient est dans le premier quartile et le nombre de séance annuelles dans le 4e quartile ! C’est le seul département réussissant cet exploit. La Meuse, un exemple à suivre ?

 

 CarteDonneesCroisees

 

Allons plus loin. Si l’on croise ses données avec les données de surconsommation de soins évoquées dans un article précédent (à lire ici), les Alpes de Haute Provence, les Hautes Alpes et Paris sont les lanternes rouges.

À l’inverse la Meuse reste championne toutes catégories.

 

Allons encore plus loin…  Où travaille-t-on « le mieux » ?

Nous avons cherchez les départements où nous travaillons le plus. Nous avons ensuite croisé les données avec la surconsommation de soins. Nous obtenons alors  un indicateur de performance des départements où l’on travaille le plus, en surconsommant le moins.

Si l’on prend le nombre de séances annuelles moyen par département et qu’on le divise pas le produit de la file active et de l’APL (le tout ramener à 1) nous obtenons un indicateur mesurant l’activité (nombre de séances) par rapport au nombre de patient (file active) et à la densité en fonction de la population normalisée (APL). 

 

Meilleurs   

Nous pouvons donc en déduire quels sont les départements où l’activité est la meilleure (en bleu sur la carte ci-dessous, représentant le dernier décile) et où elle est la moins bonne (en rouge sur la quarte ci-dessous, représentant le premier décile).

 

CarteDeciles

 

Nous pouvons alors établir ce tableau récapitulatif:

 

 

France métropolitaine

Meilleurs départements

Moins bons départements

Variation Meilleurs/Moins bons

File Active

217

251

189

+32%

Nombre de séances par an

4748

5247

4883

+7.45%

Nombre de séances par patient

21.88

20.90

25.84

-23.64%

Coût total par patient

388.57

366.28

466.86

-21.54%

Surconsommation de soins

1

0.53

1.99

-73.37%

Revenu conventionnés par MK

82705

91397

85064

+7.44%

 

BarPlotComp

 

Voilà, nous pouvons donc dire aujourd’hui que dans les meilleurs départements, on voit 32% de patients en plus, on effectue 7.45% de séances en plus tout en effectuant 23.63% de séances en moins par patient, cela coute 21.54% en moins par patient, on surconsomme 73.37% de soins en moins et les revenus conventionnels sont 7.44% plus élevés que par rapport aux moins bons départements.

 

Une certitude, nous ne pouvons pas travailler plus…

En effet avec une moyenne à 20 séances par jour, soit 10h d’activité réelle déclarée, la profession est saturée économiquement. Nous ne pouvons et ne pourrons pas travailler plus pour gagner plus. N’oublions pas qu’aux 20 séances par jour, il faut rajouter les absents, les temps de déplacement à domicile etc... Nous sommes donc théoriquement à beaucoup plus de 10h d’activité en moyenne.

Pour faire écho à l’article sur le zonage (à lire ici), nous devons drastiquement rationaliser nos traitements et aller vers l’optimisation.

Mais cela n’y changera rien, nous augmenterons la file active, parfait, mais nous ne diminuerons pas notre temps horaire…

Et force est des constater qu’aujourd’hui, nous sommes arrivés à la limite, effectivement, nous ne pouvons pas travailler plus !

 

L’accès direct et les délégations de taches sont et seront des échecs…

Je suis pourtant un énorme partisan de la monté en compétence.

Mais comment espérer que l’on puisse inclure d’autres pratiques alors que nous sommes déjà au maximum de nos capacité à travailler ?

L’accès direct, les délégations de taches, toute nouvelle mission qui nous sera proposée sera intéressante, mais comment les mettre en oeuvre sans réduire notre activité de base ?

Comment inclure cela sans déléguer nos propres actes ?

Il n’est pas étonnant que les premières expérimentations et les protocoles utilisés en CPTS ou MSP soient des échecs cuisants.

Qui a le temps aujourd’hui pour de nouveaux actes ?

La kinésithérapie est très paradoxale. Nous voulons avancer mais sans rien lâcher…

Il est évident que nous devrons déléguer pour pouvoir aller vers autre chose.

Si acquérir de nouvelles compétences est intéressant et indispensable pour faire progression notre profession, cependant, l’ordre et les syndicats se fourvoient en engageant aucune analyse sur nos pratiques professionnelles.

Nous ne pourront jamais nous engager dans de nouvelles compétences si nous ne libérons pas de temps à celles-ci.

Je le répète, mais si nous voulons nous engager dans de nouvelles voies, il faudra déléguer une partie de notre activité.

 

La nécessité d’avoir une une vraie enquête sur nos pratiques organisationnelles

Nous voyons que les éléments déclaratifs (enquête de pénibilité CARPIMKO par exemple, enquête de l’URPS IDF, les publications syndicales…) sont totalement hors de propos. Les faits démontrent que les déclarations obtenues sont non représentatives des faits observés sur population entière.

Nous ne pouvons plus nous contenter d’éléments non factuels, et surtout nous nous devons, en amont de quelque nouvelle compétence, pouvoir anticiper ce que ces compétences vont nécessiter en terme de temps et d’investissement professionnel.

Nous ne pouvons pas imposer cela aux kinésithérapeutes sans même avoir réfléchi si seulement c’était possible… Et malheureusement nous le voyons tous les jours, notre ordre et nos syndicats s’engagent dans des voies qui sont à des années lumières de la réalité des cabinets et de ce que nous pourrons réaliser dans le futur, il n’y a aucune réflexivité dans leurs actions.

Tout changement de paradigme au sein de notre profession devrait être préparé en amont, on appelle cela prévenir le changement. Mais visiblement nos dirigeants n’ont ni l’idée de le faire et encore moins l’intention. Et sans l’analyse nécessaire, ni mise en place d’accompagnement au changement, il n’y aura aucune adhésion au projet.

 

Actions à mener

Nous devons, en premier lieu, faire une analyse concrète sur population entière.

Réfléchir sur les directions que nous souhaitons avoir pour notre profession.

Auditionner l’intégralité de notre population sur les orientations qu’elle souhaite suivre.

Proposer des moyens pour parvenir à ces orientations.

Préparer le terrain en fonction des orientations à suivre.

Former les kinésithérapeutes à coordonner leurs actions avec celles d’autres professionnels (APA par exemple, mais pourquoi pas les coach sportifs).

Lier des partenariats avec ces professionnels, participer à l’organisation des connaissances et compétences de chacun pour qu’au final le soin soit le plus cohérent et les plus pertinent pour le patient.

 

Conclusion

Nous devons avoir une analyse fiable sur notre activité et arrêter de croire les « on dit » et encore plus les pseudo-analyses, fussent-elles organisées par de grandes institutions, une étude biaisée, reste biaisée…

Nous devons engager une réflexion sur l’avenir de la profession et surtout, avant d’engager un quelconque changement, prévenir ce changement.

Nous devons informer les kinésithérapeutes sur le terrain, de la réelle situation de leur territoire, de leur activité et les aider à comprendre comment modifier leur action.

Notre devoir est d’acculturer les kinésithérapeutes à la réflexivité.

Nous devons accompagner les professionnels dans leurs quotidien pour aller vers de meilleures pratiques plus pertinentes.

Et seulement lorsque nous aurons amorcer le changement, nous pourrons modifier l’axe d’orientation de la kinésithérapie.

Toutes celles et ceux (ordre et syndicats) qui œuvrent dans leur coin sans mettre en place en amont ce type de stratégie, en ne suivant que leur désidératas à grand coup de pseudos études, enquêtes ou sondages tous plus biaisés les uns les autres n’apporteront qu’une seule chose. Le désintérêt des kinésithérapeutes et la non adhésion au projets. Et aujourd’hui l’accès direct sous toutes ses formes en est la parfaite démonstration.

Nous avons pris, et continuons à prendre le problème à l’envers, tout en arguant que les nouvelles orientations ne fonctionnent pas ! Paradoxal ou simplement l’expression d’un travail mal mené.

 

Vincent Jallu