Nuages

Depuis quelques semaines les chiffres d’Ameli concernant les données de santé de l’année 2023 ont été publiées.

Autant vous le dire de suite, les chiffres sont moins bons que l’année précédente…

Malheureusement le niveau de vie des français n’est pas encore disponible et nous ne pourrons pas faire de comparatif entre notre profession et l’ensemble des français.

Je ne manquerais pas, dès publication de celui-ci de revenir vers vous…

Nous le verrons, les 50% les plus riches de notre population ont perdu un peu plus de 1% en terme de chiffre d’affaire sur 10 ans. 25% sont restés stables (mais on du faire face à une inflation montante) et les 25% les plus pauvres ont réussi à accroitre leur chiffre d’affaire d’environ 9%.

Malgré tout le chiffre d’affaire moyen est en hausse de 3.89% sur 10 ans avec, en 2023, 85242€ de chiffre d’affaire conventionnel moyen par an soit 7104€ par mois avec un taux de charge qui a tendance à monter, en 2023 c’est en moyenne 48.6% de charges.

Globalement nous pouvons avancer qu’en 2023 le revenu net moyen d’un kinésithérapeute (pour ces revenus uniquement conventionnels) est de 3651€ par mois soit 43817€ annuels.

Cet article a été écrit en prenant en compte les données data.ameli.fr et unasa.fr et l’ensemble de ces données ont été traitées avec l’ensemble logiciel R. Il est important de noter que les données d’AMELII sont des données sur population entière, donc observationnelles. Les données du site de l’UNASA sont sur un grand échantillon de notre population mais ne sont pas sur population entière. L’échantillon étant d’environ le tiers de la population, aucun intervalle de confiance ne sera proposé. Cependant il faut garder à l’esprit que ce grand échantillon se limite aux kinésithérapeutes titulaire non en société. Cela aura son importance pour la suite.

Une durée de 10 ans a été choisie, ce qui nous permet d’avoir des données fiables et consolidées.

 

L’année 2023, année charnière

Un autre point à porter à votre attention est le fait que l’année 2023 a vu la signature de l’avenant 7. Or, cet avenant a été malheureusement publié fin août 2023 alors qu’il aurait pu être publié bien avant si, comme nous le savons tous la stupidité de certains n’avait pas eu lieue. De fait les augmentations qu’il contient n’auront eu d’effet que sur une période de 4 mois. Il convient de garder cela à l’esprit dans l’analyse qui va suivre.

Voyons tout cela sur un graphique entre 2023 et 2014.
En noir notre démographie, en rouge le coût total hors dépassements des soins de kinésithérapie, en vert les honoraires conventionnels moyens sans dépassement et enfin en bleu, les dépassements de type DE.

 

4 courbes mini

 

Nous voyons assez clairement qu’en dehors de l’année 2020 (rappelons le, année COVID, « les cabinets doivent fermer ») où notre profession fût la profession avec un ordre qui a le plus souffert, certainement à cause de cette phrase assassine de notre ordre, prononcée sans aucun fondement scientifique, l’enveloppe globale suit notre démographie (corrélation de r=0.9068 malgré la comptabilisation de 2020) alors que le revenu moyen, lui, ne suit pas du tout cette tendance (corrélation r=0.0647).

Le revenu moyen, lui, a augmenté de 3% là où l’enveloppe globale a fait un bon de 37% !

important à noter aussi, l’année de référence, 2014, est l’année charnière des années 2010-2020. En effet après une baisse des revenus en 2011, 2012-2013-2014 sont les 3 années de forte croissance de nos revenus. 2015 est une année de chute et 2016 fait à peine mieux que 2014 (à lire ici: https://leskinesengages.org/index.php/pro/411-enquete-sur-nos-revenus-partie-4 et plus précisément https://leskinesengages.org/images/Articles/ESE/CNAMinf19et22.png).

Dernière courbe à étudier, celle des dépassements de type DE.

En effet, la dépense globale de DE a augmenté de 114% sur la période. Comme il s’agit de l’enveloppe globale, nous pourrions considérer qu’il y a de plus plus en plus de DE pratiqués. Et bien en fait non, nous le verrons un peu plus bas…

 

Petit calcul…

En 2014, le coût de la kinésithérapie (hors DE) était de 4.68 milliards d’euros, avec un revenu moyen de 80757€ par kinésithérapeute.

En 2023, la dépense totale en soins de kinésithérapie (hors DE) se monte à 6.41 milliards d’euros.

Si notre revenu moyen avait suivi l’inflation, il serait aujourd’hui de 94776€. Ce qui, compte tenu de notre démographie, porterait la dépense totale de kinésithérapie à 7.47 milliards d’euros, soit un peu plus de 1 milliard d’euros de surcoût et cela aurait augmenté le budget total de dépense en kinésithérapie entre 2014 et 2023 de 59,64%.

Notre démographie sur la période a augmenté de 32.21% (chiffres de l’assurance maladie et non de l’ordre, je précise).

La problématique est notre démographie et personne ne semble vouloir y faire quelque chose. Surtout pas notre ordre qui considère que notre démographie est une chance… Bien sur sans jamais considérer les soucis de surconsommation de soins, les problèmes de répartition et d’offre de soins et sans même avoir un seul regard économique sur notre profession. On voit bien là le total amateurisme du CNO sur ce sujet (et si il n’y avait que celui là…).

Toutes celles et ceux qui pensent que l’on peut indexer notre lettre clé sur l’inflation, n’ont ni compris ce qu’est la convention, ni intégré certaines données, et se fourvoient totalement dans leur raisonnement.

Sans maitrise de notre démographie, nous ne maitriserons jamais notre coût global.

À mon sens, les augmentations, pour le futur à venir, seront sporadiques à l’échelle générale et plus importantes sur des sujets ciblés et relatifs à une performance de santé publique.

Nous le voyons aujourd’hui, les ROSP fonctionnent. Les médecins sont devenus les gentils toutous de la sécurité sociale (pour rappel, leur dernière augmentation concerne la consultation de type G et non la C, ce qui les oblige directement à passer les patients en G, donc en médecin référent, très intelligent de la part de l’assurance maladie, d’autant que toutes les prestations sociale sont calculées sur la C et non la G).

Les ROSP sont un piège contraignant à terme. Et si je pense que nous n’irons pas (à court terme) vers des ROSP car nous n’avons pas de plus value de santé publique, cependant les rémunérations futures se feront sur « le mérite » du service rendu. 

 

Le DE… toujours une problématique Francilienne !

Observons tout d’abord la courbe du DE moyen par kinésithérapeute.

 

DEMoy mini

 

Nous visualisons que le DE a réellement décollé depuis 2020, l’année du « les cabinets doivent fermer ». Décidément, lorsque l’on prononce des phrases sans fondement scientifique et sans réfléchir à ce que sera la kinésithérapie du lendemain, on ne raconte que des âneries dénuées de « bon sens »…

Certains ont fermé par crainte de représailles du CNO, d’autres sont restés ouverts et ont « survécu » enfin d’autres en ont profité pour augmenter drastiquement le DE pour s’en sortir…

Mais alors, est-ce global ou toujours une problématique essentiellement Francilienne ?

Voyons un graphique de l’évolution par département de la différence entre 2014 et 2023

 

Dep copie

 

Et bien clairement nous voyons que Paris (+12240€), les hauts-de-Seine (+9703), les Yvelines (+6065€), Le Val de Marne (+4466€), la Seine-Saint-Denis (+3361€),le Val d’Oise (+2364€) et la Seine et Marne (+1908) sont en tête du peloton. Le territoire de Belfort suit mais avec uniquement +737€ par an soit 2.6 fois moins que sont premier concurrent Francilien, il est hors compétition !

51 départements ont un DE moyen en baisse. 1 département est à l’identique, 38 ont une hausse inférieure à 1000€ par an et seul 7 ont une hausse « significative » entre +1908 et +12240€.

Le DE a donc bien augmenté, mais uniquement là où il était déjà en place, à savoir les départements Franciliens. 

Voyons donc comment se réparti le DE en 2023 sur le territoire. La limite de 100€ par mois, comme proposée dans l’article sur nos revenus (à lire ici) est maintenue.

 

Carto DE mini

IDFDE mini

 

Nous voyons que les Alpes-Maritimes sont passées sous la barre des 1200€ annuels et que la problématique du DE reste très Francilienne, même si, n’en doutons pas, localement dans certaines grandes villes le DE peut s’étendre.

Mais encore une fois, l’impression que l’on peut avoir sur les réseaux sociaux, où « tout le monde fait du DE », et bien cette impression n’est qu’un effet de niche. Et faites bien attention. Car si vous envisagiez de vous lancer dans la pratique du DE car « tout le monde en fait », et bien non, c’est une fausse idée véhiculée par les réseaux. La réalité du terrain fait que vous pourriez rapidement avoir des soucis avec votre CPAM…

 

Quartiles

Intéressons nous maintenant à comment se réparti la richesse dans notre profession.

Je rappelle que nous parlons là de volume de profession et que ces chiffres ne peuvent être comparés directement à des moyennes.

Puis-je dire que je peux courir 110m, donc je suis meilleur que le champion du monde du 100m car je courre plus loin ?

Non, c’est la même stupidité que de dire qu’un quart de notre profession touche moins que le SMIC.

L’erreur est la même, on néglige le temps. Nous ne savons pas quel est le temps de travail des 25% des kinésithérapeutes qui gagnent le moins. Donc nous ne pouvons pas comparer leur revenu à un salaire horaire mensuel… CQFD.

Je rappelle aussi, que ces quartiles sont issus des données UNASA qui ne représente pas la population entière et surtout qui n’intègre pas le professionnels exerçants en société. Leur fiabilité est donc réduite.

Voici donc l’évolution en pourcentage des 4 quartiles sur ces dix dernières années. Sur le graphique de droite, l’évolution résumée de manière linéaire.

RevQuart mini

 

La situation n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.

Les moins riches, en revenus bruts ont eu une augmentation de presque 9%. Là où les plus riches ont perdu 1.3%. Les deux quartiles intermédiaires sont stables (+0.6% et -0.5%).

Cependant, concernant les revenus nets, les moins riches sont toujours en en tête mais avec uniquement +4%, là où les plus riches ont perdu presque 5% et les deux tranches intermédiaires sont elles aussi négatives à -0.2% et -2%.

C’est là où l’étude de la différence entre brut et net est importante.

Nous observons que dans le quartile le moins riche, cette différence a augmenté de 3.6%, là où les plus riches ont eux aussi augmenté de 3.7%. Les deux tranches intermédiaires étant relativement stable à +0.7% et +1.5%.

Notons aussi, l’année 2021, baisse d’URSSAF-CARPIMKO post Covid, 2022, rattrapage d’URSSAF-CARPIMKO, 2023 qui se stabilise, mais ne rêvons pas, 2024 sera certainement le second rebond de ce côté là.

Pour parler simplement, les plus riches s’appauvrissent, les moins riches s’enrichissent et au milieu on a du mal à tirer son épingle du jeu. Et si l’on compare le graphique en violon entre 2014 et 2023, nous pouvons surtout nous apercevoir que la différence entre brut et net est en augmentation. 

 

Vioplot mini

 

Nous nous apercevons que notre population a tendance, depuis 2017, à s’homogénéiser d’un point de vue financier. Nous l’avions vu dans un article précédent, la charnière 2012-2014 montrait une perte d’homogénéité des revenus, avec certainement un accroissement d’actes en HN. Assistons nous aujourd’hui à un affaiblissement du nombre d’actes en HN ?

N’oublions que les professionnels exerçant en société ne font pas partis de ces chiffres. Peut être que l’on assiste plutôt à une optimisation des revenus. Les cabinets à hauts revenus et/ou grosse activité HN de dirigeants très naturellement vers un exercice en société.

 

Et l’inflation dans cette histoire ?

Comme expliqué précédemment dans d’autres articles, prendre un point de départ en 2014 et comparer par rapport à 2023 directement n’a de sens. Surtout si l’on ne compare pas par rapport à une autre catégorie professionnelle ou même l’ensemble des français. Malheureusement le revenu disponible des français de 2023 n’est pas encore disponible et de fait nous ne pourrons pas comparer.

À ce propos nous avons vu récemment un syndicat nous expliquer que nos revenus depuis les années 70 nous avions perdu je ne sais plus combien par rapport à l’inflation. C’est tellement stupide que l’on pourrait, tout aussi stupidement leur répondre que cette diminution de revenu est en partie de leur fait puisque cela fait 40 ans qu’ils nous défendent, et on en voit les résultats…

Le jour où les syndicats seront soumis à la même déontologie que celle des praticiens, plus aucun n’existera.

Enfin voilà, pour les curieux l’inflation cumulée entre 2014 et 2023 est de 17.31%

Nos honoraires moyens ont augmenté de 2,94%.

Si l’on compare chaque année de cette période de 10 ans avec nos revenus , nous obtenons le graphique ci-dessous (en bleu foncé nos revenus):

 

Inf 1423 mini

 

En moyenne sur les 10 années nous sommes à -8.64% par rapport à l’inflation.

Je le redis, en 2023, les augmentations conventionnelles n’ont eu lieu qu’au moins d’août et de fait le effet est minoré. Il faudra attendre l’année prochaine pour voir leur réel effet. Je le redis aussi, l’année de référence, 2014, était une année charnière dans les années 2010 et la dernière année de forte croissance de nos revenus. Il est donc logique de retrouver ce type de différence.

C’est un choix de la référence aux 10 dernières années, permet justement d’avoir un réel comparatif année après année, plutôt que de biaiser l’analyse en « choisissant » ses années de référence. 

Nous voyons par ailleurs assez clairement sur le graphique qu’entre 2021 et 2022 nos revenus sont à la baisse (très logiquement car lié à l’augmentation de cotisations URSSAF post Covid) et entre 2022 et 2023 la hausse est présente mais bien moindre que l’explosion de l’inflation (+5.2 et +4.9%)

 

Mais alors, qui a perdu de l’argent, qui en a gagné ?

Nous pouvons désormais établir une cartographie de la variation sur 10 ans, DE inclus, des départements où l’on a perdu de l’argent en 10 ans (en rouge foncé, 41 départements), des départements où l’on a gagné de l’argent mais moins que l’augmentation moyenne (en rouge clair, 23 départements), de ceux qui ont gagné de l’argent mais moins que l’inflation moyenne sur 10 ans (en jaune, 20 départements), ceux qui ont gagnés plus que l’inflation moyenne mais moins que l’inflation totale (en bleu ciel, 11 départements) et les deux départements qui ont gagné plus que l’inflation totale (et oui, il y en a). Ces deux départements sont des départements Franciliens où le DE est très présent. 

 

Carto Inf 14 23 mini

 

Nous avons donc au total 84 départements où l’on a gagné moins que l’inflation moyenne sur ces 10 dernières années. 66 sont sous le seuil de l’augmentation moyenne de la profession.

 

Rigolons maintenant 2 minutes…

J’ai avancé un peu plus haut que les kinésithérapeutes franciliens avaient augmenter le DE pour « s’en sortir »… 

Imaginons que dans l’ensemble des départements métropolitains, il y ait la même moyenne de montant de DE qu’en moyenne à Paris et dans le Val d’Oise réunis, soit 15885€.

Le débat n’est pas ici de savoir si les kinésithérapeutes Franciliens ont tort ou raison, ni d’encourager telle ou telle pratique. Non, le débat est ici de théoriser ce que serait notre territoire dans une condition de pratique.

 

Carto Inf DE mini

 

Nous voyons tout de suite qu’il n’y aurait plus de département en perte. Il n’y aurait plus non plus de département sous l’augmentation moyenne. Il n’y aurait qu’un seul département sous l’inflation moyenne sur 10 ans. Il y aurait 26 départements qui auraient gagné plus que l’inflation moyenne mais moins que l’inflation totale et enfin 70 départements au dessus de l’inflation totale.

Que rajouter de plus ? Nous ne résoudrons jamais cette problématique. Respect de la convention et accessibilité au plus grand nombre versus offre de soins et bien être des professionnels… Équation sans solution.

  

Conclusion

L’année 2023 n’est pas la plus intéressante à étudier. En effet, nous le savions déjà, l’inflation a beaucoup augmenté mais nos revalorisations sont arrivées tardivement dans l’année. De fait cette année 2023 est obligatoirement une année de moindre gain par rapport à l’inflation. D’autant que parallèlement, l’année 2014 de référence était une année à revenus élevés.
2024 sera plus intéressante car l’inflation s’est stabilisée et nos augmentations seront comptabilisées sur l’année entière et même si le second rebond d’URSSAF se fera sentir, il sera moindre que le premier.

Cependant jusque 2022 le différentiel face à l’inflation était moindre. En 2023 la différence s’est fortement accentuée. « Les cabinets doivent fermer », cette petite phrase, sans fondement scientifique a plongé notre profession dans un désordre d’offre de soins majeur, dans une position politique délétère (qui a besoin d’une profession de santé absente lors des épisodes où l’on a le plus besoin d’elle ?) et dans un marasme économique sans précédent. À la suite, les DE ont explosé en région parisienne, réduisant l’accès aux soins des plus démunis, un mécanisme que nous connaissons tous, URSSAF-CARIMKO pendant 5 ans avant retour à la normale… Nous l’avons vu, le contexte est très différent selon les départements et la situation est assez préoccupante pour certains.

La démographie, point central de la problématique des revenus conventionnels, souvent négligée, voir en dépit de tout bon sens, plébiscitée, est une réelle problématique que nous devons prendre en considération.

La France est l’éternel pays de la surconsommation des soins, nous l’avons vu dans d’autres articles. Nos axes de travail doivent s’articuler autours de la pertinence des soins, de la considération démographique tant en zonage qu’en démographie globale.  

Vincent Jallu