Lorsque l’on évoque le problème des la continuité des soins mais aussi de la prise en charge des urgences, bon nombre d’entre nous se cachent derrière des faux prétextes et balayent de la main la question.
Autant vous le dire de suite, mon agenda est plein sur les deux prochains mois, le cabinet est saturé (7h30-21h) et très objectivement je redirige 90% des « urgences »…
Je suis donc l’un des plus mal placé pour parler de la continuité des soins !… Et pourtant, cette problématique est quotidienne et nécessite d’en faire le point.
La continuité des soins est un pilier majeure de notre système de santé et surtout un élément fondamental de la professionnalisation de notre métier.
Un problème de formation et de culture
Nous le voyons au quotidien, et nous ne sommes pas les seuls touché, les systèmes de garde s’amenuisent de jour en jour. Appelez un médecin à 22h ou un dimanche, en dehors de quelques exceptions, vous tomberez sur un répondeur qui vous dit « faites le 15 ou appelez SOS médecin ». J’ai pourtant souvenir du cabinet médical de mon enfance où les médecins organisaient des gardes 24h sur 24.
Soyons réalistes, il en est de même pour notre profession. J’ai comptabilisé sur mon secteur, les 3/4 des cabinets ont été fermé pour les fêtes et aucune solidarité ou aucun contact n’a été pris pour organiser une quelconque continuité de soins en redirigeant vers tel ou tel confrère ou consoeur durant cette période. Il en est de même au quotidien pour les week-ends ou les épidémies. Il n’y a pas d’intercommunication et donc aucune information quant à la possible continuité de soins et la prise en charges globale des urgences. La seule phrase que nous puissions dire est « appelez les confrères, sait-on jamais »…
Quand le problème est évoqué, quel que soit la profession, il est de suite invoqué le problème financier. Nombre de fois où j’ai entendu « je veux bien faire une garde mais il faut que je gagne X centaines d’euros minimum de la journée».
Dans le système de soins, il y a bien longtemps les carabins ne se posaient même pas la question. D’ailleurs au sein de leurs études les internes sont d’astreintes régulièrement.
Cependant, les mentalités et moeurs évoluant, ont voit de plus en plus de mouvements de contestations remettant en cause le système et demandant régulièrement un financement plus important de ceux-ci.
La constitution du système de santé français est elle même en cause. Aujourd’hui la médecine, et la kinésithérapie sont majoritairement à vocation « libéral ». Peut être que le jour où les postes en établissement seront rétribués à la réelle hauteur de ce qu’ils doivent être, les choses changeront…
Le fait est que « libéral » veut aussi dire « libre choix ». Et aujourd’hui le libre choix est à la mode « profiter de sa famille, avoir des loisirs et une vie sociale » et non plus à la mode « je suis un professionnel de santé, je me suis engagé dans cette voie par convictions ».
L’argent le seul problème ?
Le kinésithérapeute salarié, gagnant 1200€ net s’engage à satisfaire l’ensemble des clauses de son contrat. Et son contrat stipule qu’il peut travailler le week-end, qu’il peut faire des astreintes etc…
Et est-ce que le kinésithérapeute salarié gagnant XXX€ par mois se plaint d’avoir cette contrainte ?
Non, le financement n’est pas la problématique majeure. Le vrai problème se situe sur le plan de la professionnalisation, de la déontologie et de la morale.
Une profession de soin doit organiser la continuité et la gestion des urgences.
Sans rentrer dans le domaine sacerdotal où l’on vit, mange, dort, meurt à la mode kinésithérapique, laissons cela aux « ordinés », soyons matures professionnellement et considérons le problème.
Nous avons un choix déterminant pour l’avenir de notre profession à faire.
Soit nous souhaitons continuer à être une profession de soins et nous devons en assumer l’ensemble des devoirs.
Soit nous souhaitons donner une impulsion nouvelle pour notre profession et nous serons alors en concurrence directe avec l’ensemble des pseudos acteurs de santé (EAPA, coach sportifs etc).
Si pour le salarié, l’ensemble des contraintes liées aux professions de santé sont édictées par leur fiche de poste et donc leur contrat de travail, pour le libéral, la situation est plus complexe. En effet, le professionnel libéral n’a d’obligation que morale. Il reste libre de ses choix et de sa « méthode » de travail.
C’est pourquoi certains d’entre nous ont délibérément abandonné toutes les priorités de santé publique.
La seule réponse à cette situation sera l’obligation législative et/ou financière !
L’avènement des forfaits
N’en doutez pas une seule seconde, la continuité des soins nous sera imposée par le biais des forfaitisations diverses et variées.
ROSP, forfait de soins…
Avec le gel des lettres clés, le législateur et l’UNCAM ont trouvé un excellent moyen « d’obliger » les praticiens à faire ce qu’ils ne veulent plus faire !
Le concept est simple « vous voulez gagner plus ? Faites ce que je vous demande » !
Si demain l’UNCAM propose un forfait à 8000€ par an pour effectuer 20 journées de « garde » par an, vous pouvez être surs que vous succomberez au chant des sirènes… Et quand l’année d’après on vous demandera 25 jours et que vous vous serez largement accommodé au fait de gagner 8000€ de plus par an, vous accepterez. Et quand on vous en demandera 40 vous trouverez le système ragoutant mais vous continuerez et l’UNCAM aura gagné…
La constante dégradation des conditions de travail…
En dehors des considérations financières, qui n’ont cessé s’amenuiser au fil du temps, la dégradation des conditions de travail font de même.
Première chose, le recul de l’âge de la retraite. Quand on travaille 50-60h par semaine, c’est rigolo quand on est jeune, plus on avance dans l’âge plus cela devient difficile, mais tenir jusque 70 ans…
Ensuite les patients sont de plus en plus intolérants, veulent être soignés pour avant-hier.
La reconnaissance générale n’existe plus.
Tout cela mis bout à bout fait que les praticiens ne font plus aucun efforts… Et ils ont raisons.
Paradoxal de promouvoir d’un côté les devoirs des professionnels de santé et de l’autre défendre ces même professionnels alors qu’ils ne remplissent pas ces devoirs…
Effectivement, voilà le terrible choix que nous devons faire. Devons nous continuer d’accepter la dégradation des conditions d’exercice et parallèlement continuer à répondre présents face aux devoirs moraux ?
Et bien, après une longue réflexion, je pense que oui, nous devrions jouer le jeu. Deux raison à cela.
- Renforcer notre position auprès des patients. Ne l’oublions jamais, le patient doit rester au coeur de notre profession. Sans patient, nous n’existons plus.
- Renforcer notre assise face aux pouvoirs publics. En effet, nous pouvons jouer au même jeu qu’eux… Donnons, pour pouvoir reprendre ensuite…
Indirectement, en nous organisant dès aujourd’hui, nous pourrions biaiser le pouvoir maléfique des forfaits et autres ROSP et rester maîtres de notre profession plutôt que de continuer à travailler dans l’asservissement où nous ne faisons que subir. Nous avons une opportunité d’agir, alors agissons !
Connaissons la convention, regardons là où nous pourrions piocher des financements, utilisons les URPS et l’ensemble des leviers pour se soustraire au chant des sirènes.
Préparez vous au 7/7 h24 !
Si certains d’entre vous ne l’ont pas encore intégré, l’évolution sociétale va dans ce sens.
J’ai eu la surprise de voir mon facteur me délivrer un colis un dimanche matin !
Comme beaucoup j’ai aussi vu la quasi totalité des commerces ouverts samedi et dimanche pendant les fêtes…
Et bien oui, notre mode de vie et de fonctionnement font que le découpage temporel tel que nous le connaissons va disparaitre.
Préparez vous-y au moins psychologiquement… car avec l’avènement des maisons de santé et autres regroupements, le soin devra devenir accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Et ce ne sont pas les tutelles qui vous l’imposeront, mais bel et bien vos patients directement. Quand vous verrez clientèle, pardon, votre patientèle fondre comme la neige au soleil car la maison médicale d’à côté peut recevoir ces patients à 22H ou le dimanche, vous serez bien forcés de considérer le problème. Malheureusement, seul… Cela sera bien difficile…
Les réfractaires, où plus simplement les praticiens isolés ne pourront pas satisfaire à la demande et se placeront de facto en situation de désavantage par rapport à ces structures.
Dans tous les cas, commencez à vous le dire… le H24, c’est pour bientôt.
L’ordre dans tout cela
Notre ordre a déjà fait son choix.
Comme à l’habitude, sans concertation aucune et uniquement pour répondre aux volontés d’une poignée, l’ordre s’est déjà prononcé avec son fameux « osons »…
En effet, dans sa vision de la prise en charge des urgences (à lire ici et ici), l’ordre nous a fait part de la possibilité uniquement hors convention de prendre en charge les urgences.
Si au premier abord l’on pourrait croire que cela répondrait aux exigences de santé publique, en fait, c’est tout le contraire que l’ordre promeut.
Ainsi l’ordre montre sa volonté pour la kinésithérapie de sortir du carcan conventionnel et donc implicitement du système de santé.
L’ordre veut donc que nous sortions de nos prérogatives et oriente dangereusement notre profession.
Je me demande si l’ordre s’aperçoit qu’il est en train de scier la branche sur laquelle il est assis ?
En effet lorsque les mots « masseur-kinésithérapeutes » ne voudront plus rien dire, déjà que « masseur » est perdu et qu’il ne reste que « kinésithérapeute », alors l’existence même de notre ordre sera en question.
Il est même déjà trop tard. L’ordre par cette action nous a montré son incapacité à réellement défendre notre profession et n’a fait que mettre en lumière sa médiocrité.
Il est temps pour nous de reprendre la main sur notre avenir et notre profession car il n’y a vraiment plus rien à attendre du côté ordinal.
Les syndicats
Ils sont aujourd’hui totalement bridés par les pouvoirs publics. il n’y a plus réellement de propositions ni d’actions syndicales au niveau national. Nous arrivons à la fin d’un système où ces entités à échelle nationales sont totalement démunies contre les pouvoirs administratifs et l’ensemble des règles législatives. De fait, aucune proposition qui n’aurait pas l’aval des pouvoirs publics n’a de chance d’émerger.
Les syndicats ne font que subir en espérant « limiter la casse ». Mais ce qui était à une époque réellement syndical, proposition-action-résultat, est maintenant révolu.
Les syndicats doivent se restructurer et changer de mode de fonctionnement et de politique interne pour s’adapter aux nouveaux modes de rémunération, aux nouveaux modes de fonctionnement et réellement prévoir l’avenir de notre profession.
Seules restent les actions locales qui peuvent éventuellement fonctionner et restent conditionnées à l’engagement de quelques hommes et femmes sur le terrain.
Vincent Jallu