Nuages

Nous vivons depuis un peu plus d’un mois au rythme de la girouette qu’est devenu notre ordre un jour blanc, le lendemain noir, des sons cloches dissonants suivant les différents acteurs... Nous n’avions jamais connu telle communication aussi bâclée et imprécise.

L’image de notre profession est simple. Nous sommes devenus les kinés dans leur canapé en téléconsultation pendant que les ostéopathes et les esthéticiennes prennent en charge les soignants au combat. 

Il convient dès lors de demander des comptes, d’obtenir la transparence la plus totale sur l’ensemble des décisions qui ont été prises, qui, pourquoi et comment.

Il convient aussi de répondre à plusieurs questions techniques et juridiques majeures, la réponse de notre conseil national étant très intéressante et constructive.

En effet nous avons vu circuler des informations dissonantes de la part de l’ordre que ce soit au niveau national mais aussi au niveau des départements. Les assureurs n’ont pas été en reste tout comme certains ont confondu les différents pouvoirs en présence. ARS, URPS, Ordre, syndicats.

Les ARS et les URPS gèrent l’offre de soins régionale. L’ordre veille au maintien des principes de moralité, de probité et de compétence indispensables à l'exercice de la masso-kinésithérapie et à l'observation, par tous ses membres, des droits, devoirs et obligations professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie. En aucun cas l’ordre ne gère l’offre de soin. Les syndicats sont l’interface entre les pouvoirs publics et les professionnels. Les syndicats représentatifs gèrent aussi les relations conventionnelles.

 

Afin de répondre aux assureurs il convient, dans un premier temps, de rappeler que toutes les "recommandations" n'ont pas la même portée (ni la même valeur) selon l'institution dont elle émane.

Ainsi, les recommandations émanant de l'HAS (et plus encore lorsqu'elles font l'objet d'une homologation par arrêté) sont opposables au praticien. Par ailleurs l'Ordre peut poursuivre (du point de vue de la déontologie) un praticien qui ne donnerait pas des soins consciencieux et conforme aux données acquises de la science (donc conformes aux recommandations de bonnes pratiques de l'HAS): c'est le fameux article R. 4321-80 du Code de la santé publique, tant rabâché par l'Ordre pour justifier la fermeture des cabinets et qui dispose que: "Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s’engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science". 

Toutefois, les recommandations de "bonnes pratiques" qui portent directement sur les soins et sont appuyées sur les données acquises de la science et n'ont pas la même portée que les "recommandations" des ordres qui n'ont qu'une valeur indicative.

L'ordre de fermeture des cabinets n'est donc pas une recommandation de bonne pratique et une poursuite par l'Ordre sur le fondement de l’article R. 4321-80 du Code de la santé publique serait vouée à l'échec dès lors que le Professionnel respecterait les mesures préconisées par les instances en charge de ses recommandations (HAS).

Il convient même de remarquer que la recommandation de la HAS ne mentionne pas une seule fois la recommandation de l'Ordre et donc la fermeture des cabinets....(https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-04/373_reponse_rapide_covid19_mk_15-04-20_v4_vmssr.pdf). 

Les assureurs n’avaient donc pas matière à ne plus nous couvrir pour l’exercice au cabinet.

 

S'agissant de la recommandation de fermeture des cabinets plusieurs arguments peuvent être mis en avant: 

- Il ne s'agit pas d'une recommandation de bonnes pratiques puisqu'elle n'est assise sur aucune données scientifiques (en effet rien ne démontre qu'il y ait moins de risque de contamination en se rendant au domicile du patient qu'en le recevant au cabinet). Si cela avait été le cas, l'HAS aurait publié des recommandations de bonnes pratiques en ce sens. 

Il ne s'agit pas d'une recommandation de bonnes pratiques puisqu'elle n'est assise sur aucune données scientifiques. Le risque d’inter-contamination entre le professionnel et le patient à domicile ou au cabinet n’a pas à notre connaissance été évalué et l’has ne donne pas d’information à ce sujet.

- Ensuite, quant bien même l'Ordre choisirait de poursuivre un professionnel qui aurait ouvert son cabinet sur le fondement de l'article R. 4321-80 du Code de la santé publique (outre les faibles chances de succès du CNOMK devant le Conseil d'Etat), il ne s'agirait que de déontologie et l'assurance n'assure en aucun cas les risques déontologiques. Cela n'a donc aucun impact pour les assureurs. 

- Devant un juge civil, le praticien qui effectue les soins à domicile ne pourrait se justifier en invoquant les recommandations du CNOMK. Le juge apprécierait par lui-même la pratique du professionnel. Il en serait de même s'il pratiquait en cabinet. Rappelons au passage que la responsabilité du professionnel ne pourrait être engagée en cas de contamination dans la mesure où il est impossible (étant donné les particularités de cette pandémie: personnes asymptomatiques; test faux négatif; surface vecteur du virus...) d'établir le lien de causalité entre la faute et le dommage. Et, qu'en outre, la faute ne pourrait être le fait de prodiguer les soins (dans le respect des mesures barrières) que ce soit en cabinet où a domicile. 

- Que si l'on admet tout de même que la responsabilité civiles des professionnels pourraient être engagées pour transmission du COVID-19, elle pourrait également l'être pour les soins à domicile (libre appréciation des juges du fond), plus encore  puisque pour une personne qui ne sort pas de chez elle, le lien de causalité étant plus évident à démontrer et plus encore en raison de l'existence de recommandations de bonnes pratiques dans ce seul cadre (validée par l'HAS donc opposable, celles-ci). 

- Qu'ensuite la recommandation de fermeture des cabinets est uniquement prise pour "éviter la propagation du virus", en aucun cas cette recommandation n'aurait la moindre portée en cas de dommage autre que la transmission du virus et résultant d'un acte de soin. 

- Qu'enfin la responsabilité du professionnel pourrait être engagée en raison de la perte de chance engendré par un arrêt de soin. Rien ne peut obliger le professionnel à prendre en charge les patients à domicile (l'éloignement géographique en zone rural est notamment un frein important; la volonté de ne pas être contaminé dans l'environnement non maîtrisé du domicile du patient également) mais il n'est pas inenvisageable qu'une telle solution soit admise pour un kinésithérapeute qui refuserait de recevoir un patient en cabinet et le laissant sans solution de secours. 

 

Comprenez par là que au final, si l’ordre dit « fermez vos cabinets », si sa recommandation ne repose sur aucune donnée de la science ni sur aucune recommandation de la HAS, non seulement l’ordre n’obéit pas à ses propres règles, mais qui plus est, vous ne seriez pas dans l’absolu attaquable par ce dernier.

Il y avait au mois de mars des cabinets parfaitement aptes à respecter à la lettre les directives de la HAS pour recevoir les patients au cabinet. Alors même que l’ordre considérait le contraire et prenait décision sans tact et mesure. C’est ainsi que sans concertation l’ordre a décidé de modifier l’offre de soin sans que cela ne semble ni justifié ni dans ses prérogatives.

Il conviendra de demander aux autorités compétentes si notre ordre a réellement dépassé ses prérogatives ou non…

Enfin n’oublions pas non plus que notre conseil national de l’ordre n’a même pas envoyé un courrier aux professionnels et s’est limité à une communication électronique sans avoir l’assurance que les professionnels aient eu l’information.

Ainsi, les risques juridiques sont plus importants si le praticien respectent les recommandations de l’ordre (qui ne sont pas des recommandations de bonnes pratiques, le silence de l'HAS en témoigne) que s'il avait pratiqué au cabinet (seul persiste un risque déontologique avec de faibles chances d'aboutir). Ce risque juridique pèse donc également sur l'assureur et l'ensemble des arguments permet de comprendre qu'un assureur qui iraient dans ce sens aurait peu de chances de voir ses prétentions aboutir devant un juge. 

 

Conclusion

Nous ne pouvons tolérer une once d’obscurité dans cette problématique, la transparence doit être totale.

Il est possible que notre ordre ait outrepassé ses prérogatives. Il est possible aussi que notre ordre nous ait placé, nous professionnels, dans une situation juridique qui ait pu nous être préjudiciable.

Interrogeons nous sur cette communication bâclée pleine d’amateurisme où seul le support électronique a été choisi. Où nous avons vu notre action être limité à la notion d’acte vital alors même que cette notion n’a été définie que huit jours plus tard. Où les informations n’ont cessé d’être contradictoires, où nous avons même vu des CDO avancer des positions qui ne n’étaient pas le reflet des position du CNO. Où systématiquement après chaque parution les élus nationaux ont du rajouter des éléments de ci de là. Pourquoi le lundi 16/03 nous recevons des directives de nos CDO relayant la DGS pour la prise en charge des patients au cabinet et pourquoi le 17 nous effectuons un changement de cap à 180°. Ou même plus récemment où l’on nous a demandé la réouverture progressive des cabinets, puis le lendemain rajouter, uniquement pour les actes urgents et non reportables. 

Ces questions doivent avoir des réponses. Notre profession ne peut tolérer d'être une girouette.

De part les textes le régissant, le CNO est “juge et partie” de sa propre éthique et déontologie. Il convient donc d’interpeller les instances compétentes pour trancher ces questions.

Un ordre qui mettrait en danger juridique les praticiens doit répondre de ses actes et être mis à pied sans ménagement avec une clause d’inéligibilité pour les élus ayant cautionné cet état de fait.

 

Stéphane Flori

Vincent Jallu