Nuages

Suite à la parution des recommandations de trois syndicats de médecins concernant des mesures d’attractivité en zone sous-dense, je vous propose un regard un peu « différent » concernant cette attractivité.

 

Dressons un portrait « ironique » du thérapeute...

Quand vous avez 25 ans

Vous ne souhaitez que vous amuser, profiter de la vie. Difficile de se projeter dans une région où le premier cinéma est à 20 kilomètres, la première boite de nuit étant tout aussi éloignée et ne parlons même pas d’une salle de concert ! Seul le café du coin du village voisin existant, inutile de recherche un endroit convivial pour les jeunes…

Le thérapeute « jeune » est le plus volatile, peu envie de s’installer, insouciance, peu de besoins financiers et pour lui, aller s’enterrer dans un mouroir sera difficile.

 

Quand vous avez entre 30 et 40 ans

La tranche d’âge complexe...

Envie de s’installer, besoins financiers élevés… La zone sous-dense propose-t-elle cela ?

Oui dans un sens car l’immobilier est en général bas (mais aussi souvent en moins bon état). Cependant, entre 30 et 40 ans la problématique change. Il faut commencer à chercher une école pour les enfants, un collège ou un lycée. L’école communale n’a que 3 classe pour 5 niveaux, la maternelle n’existe pas, le premier collège est à 20 kilomètres, et le lycée ne se fait qu’en internat !

Inutile de chercher une nounou pour un professionnel qui travaille 60h par semaine, cela n’existe pas.

Il faut penser aux économies d’énergie, mais quand il faut parcourir 150 kilomètres par jour pour ses enfants, ses patients etc, hormis en voiture cela est très difficile !

Tous ces paramètres font que cette tranche d’âge est bien compliquée et que la zone sous-dense n’a pas grand chose à offrir pour eux.

 

Quand vous avez 50 ans

Il vous faut trouver un lycée, une université, mais aussi un aéroport ! Oui, vous avez fini de payer votre crédit immobilier, vous recommencez à prendre des vacances, vous cherchez donc à aller « ailleurs ».

C’est aussi la période la plus dangereuse pour la zone sous-dense. Car justement économiquement vous êtes plus « libre » et donc vous pouvez commencer à réfléchir « déménagement » !

Quitte à être au milieu de nul part, autant être là où vous avez envie d’être. Et puis la campagne, c’est bien, mais aller gagner un peu de sous, monter un gros cabinet, faire comme les autres et avoir 5 assistants et profiter des rétrocessions, c’est pas mal !

La zone sous-dense vient de perdre son dernier thérapeute…

 

Quand vous avez 60 ans

Vous ne pensez qu’à une chose, partir en retraite... Et franchement, vous avez bien raison !

La seule réflexion que vous avez est « qu’ils ne viennent pas m’ennuyer avec toutes âneries… » !

Les problématiques de sous-dense ou sur-dense ne vous préoccupent plus et quelque part, je vous comprends parfaitement.

 

Une fois ce tableau à peine burlesque dressé…

Il faut poser la réflexion. Qu’est-ce qu’une zone sous dense ?

Toute la problématique est là.

L’UNCAM a utilisé plusieurs modes de calcul pour définir une zone sous-dense. Par exemple jusqu’à maintenant (l’avenant conventionnel n’étant pas encore signé), sachez qu’un « temps plein » est défini par « prise en charge de plus de 7 patients par jour ». Oui, vous avez bien lu. Si vous voyez plus de 7 patients par jour, vous êtes considéré comme « temps plein » dans votre secteur. Il devient donc limpide de comprendre pourquoi certaines zones sont classées sur-denses alors que finalement il n’y a pas tant de thérapeutes que cela.

 

Aujourd’hui l’UNCAM nous propose un nouvel indicateur pour dresser le zonage. Cela fait quelque mois que j’appréhende cet indicateur. Et bien objectivement, je dois l’avouer… il m’est impossible de me prononcer de manière tranchée sur le sujet.

L’indicateur ne me semble pas incohérent tout en sachant qu’aucune formulation algorithmique ne pourra se substituer à la problématique de terrain.

 

En effet, contrairement à ce qui a été présenté au-dessus, la réalité est tout autre. Une zone sous-dense peut être mitoyenne avec une zone sur-dense et les deux pouvant être en localisation citadine ou péri-citadine avec toutes les commodités.

 

Les incitations

Comme décrit dans l’analyse du projet d’avenant (à lire), les mesures incitatives qui nous sont proposées le sont dans un cadre qui est très contraignant.

Je pense très sincèrement que si l’on souhaite faire de l’incitatif, il faut l’inscrire sur du long terme (10 ans) et non sur du court terme avec des contre-parties importantes.

En effet, la durée d’obtention d’une patientèle stable, les modalités de calcul des différents prélèvements (URSSAF, CARPIMKO…) font qu’au bout de 3 ans l’activité est à peine stable d’un point de vue comptable. Ces contrats incitatifs ne font que pérenniser l’instabilité comptable dans le temps.

Les opportunistes trouveront là une bonne idée pour papillonner d’une zone sous-dense à une autre pour rester « non imposables ». Les autres, devront faire preuve d’un niveau comptable important pour maitriser leur trésorerie.

 

De plus se pose la problématique de la sortie de la zone de sous-dense à intermédiaire.

En effet, la qualification de la zone étant amenée à évoluer, vous pourriez investir dans une zone sous-dense, et deux ou trois ans plus tard, la zone peut devenir intermédiaire et vous perdez l’ensemble des incitations…

Voilà pourquoi toute forme de défiscalisation ou d’incitation financière ou de moyen n’est pas une bonne idée.

 

La liberté de choix du praticien

Dans les textes prévus, le praticien s’engage à recevoir un certain pourcentage de patients de la zone sous-dense. Jusque là, je comprends parfaitement la mesure et même si je trouve les demandes de l’UNCAM un peu élevée, je partage la position.

Cependant, point important, un thérapeute ne choisi pas ses patients.

En effet le patient est libre de choisir sont thérapeute. Et compte tenu que les auxiliaires médicaux sont hors parcours de santé, il faudra à un moment donné pouvoir dire à un patient « hors zone », désolé je ne peux pas vous recevoir car vous allez faire baisser mon activité « sous-dense ». est-ce la finalité d'un soin que de refuser des patients sous prétexte qu'ils n'habitent pas dans la bonne commune ?

Vous pourrez mettre 10 thérapeutes en zone sous-dense, si ces derniers ne conviennent pas aux patients, ils iront ailleurs.

 

Le déploiement de la télémédecine

Comme je l’ai indiqué dans mon article sur la télémédecine (à lire), je pense que les médecins sont en train de se masquer la face quant à la finalité de la télémédecine.

Oui la télémédecine pourra supprimer tout désert médical, mais attention, peut être pas avec des médecins résidants en France…

 

Conclusion

Très clairement pour attirer des professionnels dans les zones sous-denses et plus généralement dans les déserts médicaux, il faut aussi penser plus globalement à l’attractivité générale des zones. Il faut penser services de proximité. Et sans vouloir condamner les petits villages de campagne, mais objectivement hormis un « enfant du pays », combien vont réellement avoir envie de venir dans un village sans poste, sans maison de la presse, sans café du coin, sans petit resto etc ? 

 

La problématique de la désertification des campagnes est bien plus vaste et bien plus complexe que de dire à un thérapeute « tu t’installeras là où alors tu ne t’installeras pas ! »

 

De plus, peut on imposer à un jeune diplômé d’aller s’installer à un endroit où il ne le souhaite pas alors que sa formation lui a coûté 9000€ par an ?

Que l’état commence par dispenser les formations initiales gratuitement avant d’essayer de nous imposer quelque conventionnement sélectif que ce soit…

Toute tentative d'installation ou de restriction d'installation dans des zones sans avoir pensé plus globalement le pourquoi du désintérêt de la zone, ser un échec sur le long terme.

L'incitation est un piège dans lequel il faut faire très attention. Il faudrait des mesures qui s'inscrivent de manière pérenne dans le temps, même si la zone change de statut.

 

Mise à jour du 08/08/17

 

L’indicateur APL expliqué…

Vous trouverez en cliquant ici ou encore ici, deux documents expliquants l’indicateur d’Accessibilité Potentielle Localisée ou APL. C’est cet indicateur qui sera utilisé pour éditer une cartographie de notre démographie et définir les zones sous-denses ou non.

 

Rapport sénatorial

Le sénat a émis un rapport sur l’accès au soin. Celui-ci est consultable ici.

J’ai été très surpris de lire page 69 que madame la présidente du conseil de l’ordre avait été auditionnée et avait émis des commentaires concernant des dispositions conventionnelles qui sont de fait en dehors du champ d’action du conseil de l’ordre !

J’ai retenu quelques points essentiels de ce rapport.

  • la liberté d’installation c’est fini. Et si ce n’est pas pour aujourd’hui, ce sera pour demain.
  • les sénateurs manquent cruellement d’imagination quant au recours à la télémédecine et négligent totalement les différents accès partiels et ou étrangers aux fonctions de médecin. Pourtant cela serait comme indiqué ici un moyen très simple de résoudre une grande partie des problèmes liés à la démographie des médecins.
  • Le sénat a cependant la même conclusion que moi. L’aspect financier dans les problèmes de démographie ne fait pas tout. Nous pourrons utiliser autant de contrats incitatifs que l’on souhaite, si il n’y a pas de « vie » dans une zone, personne ne viendra s’y installer. Là où je diverge, c’est que les sénateur semblent indiquer qu’il faut dès lors passer sur des mesures répressives, ce qui à mon sens est une erreur.
  • les maisons de santé… nous le savions déjà, mais cela va devenir à mon grand regret le standard de la médecine !

 

Vincent Jallu