Nuages

Passé presque inaperçu, le 18 mars, la cour des comptes a rendu son rapport annuel assez cinglant dans la partie sur les ordres professionnels et n’a pas manqué d’attirer mon attention (à lire ici)

Le bilan de la cour est plus que critique faces aux ordres et donne 5 recommandations pour améliorer le fonctionnement dissonant de ceux-ci.

Entre 2016 et 2020, 5 des 7 ordres des professions de santé ont été passés au crible par la cour des comptes. (L’ordre des sage-femmes et celui des pédicures-podologues y ayant échappé pour l’instant).

 

Le premier point, les instances disciplinaires

La cour demande à ce que les publications de radiation ou d’interdiction d’exercer soient rendues publiques. En effet, elle estime que les décisions disciplinaires n’ont pas la cohérence qu’elles devraient avoir.

Elle parle « d’insuffisances », tant au niveau techniques qu’au niveau des interprétations.

Pour la cour, un tri des plaintes, par les CDO, sans fondement juridique constitue un « détournement de procédures » que seules les chambres disciplinaires ont la compétence de juger.

Dans le but de "préserver les droits des patients", la Cour des comptes recommande de clarifier, dans le code de la santé publique, "les notions de plainte et de doléance et le mode de traitement qui leur serait respectivement applicable".

 

Discordance disciplinaire-judiciaire

Nous le savons, il existe de nombreux cas où les chambres disciplinaires condamnent le praticien alors que le judiciaire prononce la relaxe. Il existe de nombreux cas ou c’est l’inverse, de fortes peines de prison pour un simple avertissement en disciplinaire.

Les incohérences sont nombreuses et inacceptables. Cela est l’apanage des tribunaux d’exception. L’idéal serait de laisser la justice aux professionnels de la dite justice. 

Dans le même registre, le copinage dénoncé par beaucoup mais balayé du revers de la main par les ordres... Mais malheureusement les faits sont là, fraude fiscale « massive » d’un ancien trésorier national de l’ordre des pharmaciens, certainement protégé et non poursuivi par son ordre.

Combien de fois entendons nous dans les sections syndicales « j’ai un soucis mais avec quelqu’un de l’ordre, il est intouchable »... Constat navrant et ô combien détestable.

Tout est fait pour que les élus soient protégés.

Savez-vous comment porter plainte contre un élu de votre CDO ? Savez-vous comment engager une action contre un élu national ? Non. Et vous savez pourquoi ? Simplement parce qu’il faut protéger ses ouailles !

 

L’absence de visibilité des décisions

"Ainsi, alors qu’une sanction de suspension d’exercice ou de radiation n’est pas sans conséquence pour les patients, ceux-ci n’ont pas la possibilité de s’assurer que le professionnel de santé qu’ils consultent n’est pas sous le coup d’une interdiction d’exercer", en ajoutant que les contrôles étaient par ailleurs "extrêmement rares".

La cour note aussi que suivant l’ordre les personnes habilitées à saisir la justice ordinale est « variable » et surtout de manière « restrictive ».

Ainsi vous pouvez organiser une fraude fiscale massive sans jamais être inquiété par votre ordre car l’administration fiscale ne peut saisir les juridictions ordinales.

Les ordres faillissent dans leur mission de protection des patients.

 

Déontologie et qualifications professionnelles

Là encore, les ordres ne font pas leur travail !

La Cour pointe les contrôles « peu répandu de l'actualisation des compétences » des professionnels par leurs ordres.

Comme à leur grande habitude, les ordres se retranchent derrière le sacro-saint « c’est pas ma faute »...

« A l’exception notable de l’ordre des pharmaciens, les ordres examinés par la Cour n’ont pas fait de cette mission de contrôle une priorité et ne se sont pas dotés d’outils permettant de recueillir et traiter les données relatives aux formations suivies par les praticiens ».

Pire, la cour s’inquiète. la procédure de recertification, qui attend sa mise en oeuvre réglementaire, « semble un objectif très ambitieux au regard de l’état d’impréparation de la plupart des ordres ».

 

Exercice illégal, conflits d'intérêts, transparence 

La Cour dénonce les « défaillances des ordres dans le repérage de l’exercice illégal de la profession », et réitère ses critiques sur leur impartialité, pointant à nouveau une "confusion fréquente entre rôle ordinal et rôle syndical".

Il est clair que notre ordre est un modèle en matière de non poursuite pour exercice illégal. Avoir le courage d’élever la voix et de défendre réellement la profession n’a visiblement jamais été une priorité.

Nous avons perdu le massage, nous avons perdu l’APA, nous sommes en train de perdre la prévention et pire, les aides kinés (à lire ici et ) vont nous piquer tout le reste !

Principal objectif de l’ordre ? Réduire en cendre la profession ?

Comprenons bien, je suis totalement favorable à l’évolution de notre profession. Mais une évolution construite. Pas une décision prise « entre amis » sans avoir eu aucune concertation sérieuse des kinésithérapeutes (et surtout ne me parlez pas des colloques de l’ordre temple des béni-oui-oui où aucune discussion contradictoire n’est possible).

Par ailleurs, la cour met en évidence une « insuffisante prise en compte des risques de conflit d’intérêts ».

En reprenant le flou ordinal-syndical, il est dorénavant impératif que l’on évite le mélange des genres.

Il est remarquable que les trois syndicats présents aux élections URPS aient réussi à recruter plus de 250 postulants chacun alors que l’ordre n’est même pas capable de mobiliser assez de candidats pour ses élections. Problème d’attractivité et désintérêt pour cette organisation qui ne rempli pas ses missions...

Enfin la cour estime que les ordres sont "trop fermés sur eux-mêmes" et suggère d'ouvrir leur gouvernance à des non-professionnels (personnalités qualifiées, magistrats, représentants d’associations de patients, universitaires notamment) désignés par le ministère chargé de la santé par exemple.

Nous le constatons au quotidien. Notre ordre, structuré pyramidalement sans aucun rétro-contrôle, qui prend des décisions sans débat contradictoire, qui n’a jamais consulté les kinésithérapeutes, qui n’accorde aucun vote aux CDO (voilà peut être une piste d’attractivité non ?) et qui agit dans le plus nombrilisme est la parfaite définition de ce constat de la cour.

Savez-vous comment contester une décision ordinale ? Qu’est-ce qu’un avis de l’ordre et quel est réellement sa porté juridique ? Pourquoi est-ce un avis et pour pas un décret ? Que veut dire le mot « opposable » ?

Même la liste des sanctions possible est introuvable ! Lorsque vous avez un contentieux vous ne savez même pas à quoi vous vous exposez !

Cette notion d’enfermement et d’opacité sont insupportables.

 

Conclusion

Voilà donc à quoi servent nos 280€ annuels (75 pour les salariés, mais les salariés savent depuis le départ que cette cotisation est en pure perte)...

Une organisation opaque, centrée sur elle même, en structure pyramidale, qui en a oublié ses combats de défense de la profession, qui ne rempli pas ses missions et qui manque cruellement d’attractivité, d’informations et de transparence.